© Vinciane Lebrun

Il n’est pas rare d’apercevoir « Les Saisons » de Maurice Pons parmi les pépites privilégiées des librairies indépendantes. Hugo Mallon est le premier à s’emparer de ce conte noir dans l’optique d’un « roman-performance » qu’il a déjà développée avec « L’éducation sentimentale » de Flaubert. Un genre à part dans le paysage théâtral actuel, qui ternit de vraies promesses scéniques par une adaptation en fait assez illustrative qui n’est pas indemne de contradictions. 

Il est formidable que le roman surgisse sur la scène (comme c’est le cas chez Sylvain Creuzevault ou Julien Gosselin) comme un matériau étranger qui n’a pas vocation à être immédiatement ingurgité par la grammaire théâtrale. Ici, la lecture radicale d’un chapitre des « Saisons » par l’ensemble des acteur.rice.s/lecteur.rice.s, arrivant au départ du public, est à cet égard stimulante. Le spectacle donne d’abord l’impression que H. Mallon va stratifier différents seuils de représentation (roman lu choralement, solitairement, illustré par l’image ou dramatisé par un dialogue…) mais rapidement, l’absence de logique entre ces différentes modalités d’adaptation (qui s’enchaînent assez systématiquement et sans motivation évidente) finit par semer le doute sur l’effort de conceptualisation qui les sous-tend. L’arrivée de Siméon (protagoniste du roman) est saisissante, parce qu’elle est relayée par une vidéo pour une fois poisseuse sur un plateau de théâtre, une image creusée par la noirceur. Mais la non-réinvention formelle de ces projections fait tourner peu à peu la machine spectaculaire au pittoresque esthétisant.

Par ailleurs, l’intention de confondre l’acte théâtral avec l’acte de lecture est particulièrement belle mais elle aussi contredite par l’opération scénique. En effet, ce qui nous donné à voir/lire n’est pas tellement le livre lui-même que la lecture allégorique, déjà ciblée, d’H. Mallon et de ses collaborateur-rice-s artistiques (une transposition post-apocalyptique, pour le moins pessimiste, de la fable romanesque). On nous convie a priori à décrypter les signes romanesques, à l’origine du déchiffrage, au processus d’adaptation en train de se faire, mais la performativité affichée du geste est contredite par la fiction théâtrale qui nous est assénée. Une indéniable quête du grotesque (trop rare sur les plateaux contemporains), que manifestent les corps et la parole des acteur-rice-s, aurait pu tordre à elle seule le classicisme masqué de cette adaptation en étant plus affirmée. Dans son journal, le protagoniste de Pons proclame son hostilité aux images et sa volonté de s’en libérer grâce au roman. Peut-être est-ce un désir de se délivrer des images romanesques, délivrance permise cette fois par l’acte performatif, que nous aurions aimé voir à l’œuvre.