Un manifeste contre les violences masculines

Scènes de violences conjugales

DR

Gérard Watkins met en scène deux couples dans de courtes scènes réalistes comme le cinéma de Cassavetes et signe un manifeste puissant contre les violences masculines.

Lors de la deuxième représentation de « Purgatorio » de Romeo Castellucci en 2008, un spectateur cria à l’acteur qui revenait sur la scène après le viol d’un enfant : « Alors, c’était bien ? » Ce spectateur ne supportait-il plus le dispositif de manipulation, ou au contraire y était-il tant absorbé qu’il ne distinguait plus l’acteur et le rôle ? Parfois l’identification fonctionne comme le Guignol pour les enfants. C’est le cas ici dans une scène d’une rare violence qui voit Pascal verser brutalement un liquide domestique dans l’oreille d’Annie parce qu’elle ne l’écoute pas… On a alors l’envie de monter sur scène pour lui casser la gueule (ce serait la première fois) avant de reprendre nos esprits. Dans l’une des très belles scènes du spectacle, Annie hurle contre Pascal d’une voix écrasée (presque muette) toute sa douleur : « J’ai honte devant ma mère… j’ai honte devant mon père… et surtout, devant mes enfants… »

Rachida et Liam sont jeunes, précaires, issus d’un milieu populaire, Annie et Pascal sont au milieu de leurs vies, issus de la classe moyenne. On assiste à leurs rencontres amoureuses, puis à la violence qui s’immisce dans leurs vies. La scénographie est un triangle abstrait qui se termine au loin avec la batterie de Yuko Oshima (qui accompagne la représentation en direct avec une création musicale subtile), mais c’est la justesse du jeu des quatre acteurs qui nous prend. Liam reproche à Rachida de ne pas être assez sexy, Pascal est furieux contre la pauvreté du rêve d’Annie. Les mécanismes de la domination économique, intellectuelle, masculine se mettent en place de manière implacable. L’écriture de Watkins est au cordeau, elle colle à ses personnages et à leurs mécanismes intimes. Les quatre acteurs sont d’une justesse remarquable, mais c’est pour nous Julie Denisse qui creuse le personnage le plus réel, le plus profond, le plus bouleversant. Féminine et fragile, mère et amoureuse, admirative de la parole de son amoureux et cherchant ses propres mots, plus humble socialement et moins sûre psychologiquement, parfois naïve et maladroite, sa colère fait l’effet d’une bombe qui nous explose dans les oreilles. Elle joue sa peau tous les soirs pour incarner Annie avec une puissance émotive qui emporte.