Le Jeune Théâtre en région Centre-Val de Loire est un dispositif unique en France qui permet à de jeunes artistes et techniciens de faire leurs premières armes au sein d’une maison de théâtre, loin de la mise en concurrence propre au « marché » du travail. Plus qu’un prolongement de leur formation artistique, c’est surtout une autre manière de s’insérer dans la vie professionnelle qui est en train de s’inventer au CDR de Tours. Alors pour I/O Gazette, j’ai interrogé Miglé Bereikaité et Jeanne Bonenfant, deux comédiennes du JTRC, pour en savoir un peu plus sur cette approche qui pourrait bien révolutionner le parcours des apprentis du spectacle vivant.
Pour intégrer le JTRC, pas de concours, de candidature spontanée ou de dossier compliqué à envoyer avant la deadline, non. C’est une rencontre au cours d’une présentation de sortie d’école, d’un atelier ou encore d’un stage qui détermine le recrutement d’un artiste. Jacques Vincey, l’actuel directeur du CDR de Tours, compose son équipe tel un entraîneur sportif. Il cherche l’équilibre : ailiers, arrières, meneur de jeu, attaquants, gardien… Il faut de tout pour que sa sélection mène de front tous les chantiers qui l’attendent. En effet, pendant deux ans, le groupe sera confronté à toutes les facettes de la profession : la création bien sûr, mais aussi la production, des actions culturelles et même la programmation du festival WET, consacré aux compagnies émergentes. Une façon de grandir au vert en faisant le tour de la question, d’entamer sa carrière gonflé à bloc, avec toutes les clés de la réussite, mais aussi avec une première étape de stabilité professionnelle, puisque à terme les participants auront travaillé suffisamment pour être intermittents.
Mais ce qui constitue le secret de la réussite de cette période d’apprentissage, c’est peut-être justement le fait d’être pendant un temps donné en « permanence » dans un lieu, au sein d’une équipe et sur un territoire. « Être dans un théâtre toute l’année, ça permet d’avoir une vision globale de son fonctionnement », explique Miglé. « On a un regard différent vis-à-vis des techniciens, de la production, etc. J’ai appris à aimer les gens qui travaillent autour. Et puis, on vit aussi un peu comme une compagnie, il y a des affinités artistiques entre nous qui font naître des projets. »
« Ce n’est pas une parenthèse dorée, mais un vrai moment où l’on peut essayer, se planter, grandir et s’affirmer en tant qu’artiste », poursuit Jeanne. « Jacques Vincey nous fait entièrement confiance. Il prend ce risque-là. Et grâce à cela, tu réalises peu à peu que, malgré ton jeune âge, tu as ton mot à dire et ton rôle à jouer. Les tournées régionales sont des moments très importants, par exemple. Ici, on ne joue pas pour une “élite”, on va vers les spectateurs et on apprend beaucoup. Auprès des scolaires notamment. Ça triche pas. » Miglé ajoute : « Tu réalises que tu as aussi une responsabilité dans la ville. Un lien affectif se crée avec les gens, en atelier, en formation, lors des tournées régionales. On se sent redevable d’avoir la possibilité de travailler ici ces deux années. »
À l’approche du WET, les deux comédiennes sont à la fois stressées et excitées. À cette occasion, elles sont donc programmatrices et joueront aussi dans le spectacle « Truelle », mis en scène par un de leurs camarades, Théophile Dubus. Une position parfois délicate mais qui leur paraît juste et instructive : « Les débats entre nous pour choisir les spectacles étaient formidables », explique Jeanne. « Ça nous a aidés à avancer sur nous-mêmes, à savoir quel théâtre on voulait faire, mais aussi quel théâtre on voulait défendre. » Et Miglé termine : « J’ai trouvé cette double casquette très porteuse. Elle permet de se sentir à la même hauteur que les autres artistes du festival. Il n’y a pas de hiérarchie. »
À les entendre, on souhaite que ce dispositif devienne un modèle dans toutes les régions tant il permet aux jeunes artistes à la fois de développer leur esthétique et de construire ce lien si essentiel entre les acteurs culturels et les populations.