Ce qui frappe lorsqu’on entre dans la salle pour assister à la représentation du spectacle « Fantôme, un léger roulement, et sur la peau tendue qu’est notre tympan », c’est l’originalité de sa scénographie. On pénètre dans un impressionnant dispositif immersif au service de l’expérience musicale que le spectateur s’apprête à vivre. Pour mieux comprendre comment est née (et comment s’organise) cette horlogerie minutieuse, je suis allé à la rencontre du compositeur Benjamin Dupé et du scénographe Olivier Thomas.
« Mon envie de départ, confie Benjamin Dupé, était avant toute chose de mettre les auditeurs dans un autre état de corps, qu’ils assistent au concert différemment et que ce positionnement modifie leur écoute. Je souhaite développer une musique basée sur les sensations. En musique contemporaine, on sait très bien produire de la rupture, voire de l’inconfort. J’avais envie d’aller vers quelque chose de l’ordre de l’enveloppement, et ce dispositif y contribue. »
À partir de là, Olivier Thomas s’est donc vu confier une double mission : trouver comment placer les gens dans cet état de disponibilité et bien sûr inventer les mécanismes qui produisent la musique : « Benjamin composait avec l’envie ou l’intuition d’un son, alors je devais trouver la meilleure solution, à la fois acoustique et visuelle, pour produire ce son sur scène. Puis, peu à peu, tout s’est organisé selon une dramaturgie très simple. On essayait toujours de faire en sorte que ces objets ne racontent rien a priori, poursuit le compositeur. Lutter contre l’autorité d’un sens qui conduirait le public à intellectualiser ce qu’il voit plutôt que de se laisser aller à ce qu’il vit. Mais tout en architecturant le tout très précisément. » Pas d’esthétique robotisante dans la machinerie ici. On ne contemple pas une mécanique répétitive imparable. On la convoque dans ce qu’elle a d’artisanal, de « fait maison » et donc d’un peu magique, en s’émerveillant du phénomène qu’elle produit.
Il faut deux jours à l’équipe technique du spectacle pour monter et effectuer tous les réglages avant de jouer. « On fait d’abord tout ensemble, poursuit Olivier Thomas, puis on prend un temps spécifique pour que chaque métier (son, lumières, scénographie) peaufine ses réglages. On commence par ce qui est en haut, on le remonte, et continue ainsi, étage par étage, pour arriver en bas. On compte vingt “familles d’instruments”, avec une à cinq unités à chaque fois. Ça fait pas mal de trucs à installer. On joue toujours trois fois par jour, et il faut une heure de mise en place entre chaque concert. On avait pas mal de loupés au tout début, mais au bout de la 112e, on est rodés. Chaque série de représentations permet d’apporter de petites améliorations aux systèmes. Le dispositif musical est entièrement automatique. On appuie sur “Play” et c’est parti. Du coup, la régie, c’est plutôt une surveillance pour rectifier éventuellement la suivante. On regarde, on se dit : “Tiens, il faut un peu plus de fil ici, un peu moins de scotch là…” Mais ce dont on est persuadés aujourd’hui, avec l’expérience, c’est que les mêmes causes produisent les mêmes effets. »
« Ce qui est agréable, concluent-ils ensemble, c’est de sentir à quel point les concerts ne se ressemblent pas car la musique résonne toujours différemment selon l’heure ou le type de public. Il y a des gens qui ferment les yeux, d’autres qui sursautent. Chaque soir, chaque séance, nous, on lance le dispositif, mais c’est la salle qui joue. »