L’un des plus anciens festivals de théâtre des Balkans, le Mess, fête son 56e anniversaire. Pendant dix jours, la capitale bosniaque est survoltée par une trentaine de spectacles, performances et rencontres, mêlant show case de productions locales (« Mess Market ») et reprises internationales.
Les joyeusetés se déroulent dans une dizaine de salles, allant du vieux Théâtre national édifié à la fin du xixe siècle au tout récent Sartr (War Theatre), créé en mai 1992, pendant le siège de Sarajevo. Des lieux chargés d’histoire, à l’instar d’une ville tout entière lourdement marquée par les stigmates de la guerre : innombrables cimetières et monuments aux morts, empreintes de balles et d’obus sur bon nombre de façades du centre-ville à peine rafistolées…
Une belle démonstration de résistance par la culture, donc, que ce festival qui déploie une programmation très contemporaine et politique : « The Sound of Fire », du collectif mexicain Lagartijas Tiradas al Sol, chronique de révolutionnaires des années 1960 (malheureusement trop démonstrative), « Alors que j’attendais », du Syrien Omar Abusaada (présenté au dernier Festival d’Avignon), « The Patriots » et « What Is Europe? », du Serbe Andraš Urban, ou encore « Trois hivers », du Croate Ivica Buljan (directeur du Théâtre national de Zagreb), subtil et drôlissime panorama de l’histoire yougoslave à travers les portraits de quatre générations de femmes à fort caractère. Au pinacle de l’engagement, le Croate Oliver Frljić avait déjà reçu en 2014 des menaces de mort de la part d’activistes de l’extrême-droite. Cette fois-ci, sa nouvelle création « Naše nasilje i vaše nasilje » (« Notre violence et votre violence ») a fait l’objet d’une tentative de censure de la part de communautaires religieux, chrétiens et musulmans. Le spectacle a finalement été maintenu, mais uniquement pour les journalistes et les professionnels, sous forte vigilance policière. Au final, la pièce, malgré quelques fulgurances, ne méritait pas toute cette attention médiatique, restant un plaidoyer assez premier degré sur la culpabilité de l’Europe dans les malheurs du monde arabe. Faites sortir un drapeau bosniaque du vagin d’une femme voilée avant qu’elle ne soit violée par le Christ, et vous êtes sûr que religieux de tous bords se retrouvent main dans la main pour appeler au boycott ; le théâtre contemporain aurait-il trouvé la recette de l’œcuménisme ?
On aura découvert également quelques propositions plus intimes et sociales, comme « We Are the Ones Our Parents Warned Us About », de la Serbe Mirjana Karanović, ou « The Frog », du Bosniaque Elmir Jukić (davantage connu comme réalisateur de cinéma). Très décalé, le monumental « Ubu roi » de Jernej Lorenci est une étonnante production slovène mêlant absurde et grotesque dans une parodie de drame shakespearien. Un regret : l’absence de surtitres, remplacés par une improbable traduction simultanée en anglais au casque. Bien qu’il s’agisse d’une création plus ancienne (2011), nous aurons eu un coup de cœur pour « Forecasting », de la danseuse et metteur en scène croate Barbara Matijević, qui utilise avec beaucoup d’humour et d’originalité un ordinateur portable et des vidéos amateurs de YouTube pour créer une performance hybride à mi-chemin entre expression corporelle et univers numérique.
Enfin, entre deux dégustations de böreks sur une terrasse de Baščaršija, on aura pu coller une oreille flâneuse à la galerie d’art Java, où s’est déroulée la performance « 48 heures d’éveil », lecture ininterrompue de centaines de témoignages et récits de réfugiés de l’Antiquité à nos jours. De par l’endroit où il se déroule, le festival est d’une portée symbolique cruciale. Tous les spectacles, selon ses programmateurs, sont des « diagnostics de la maladie de notre époque » : le Mess contribue à penser et à panser les plaies de nos sociétés déglinguées.
MESS, Sarajevo, du 30 septembre au 9 octobre 2016.