On ne ressort pas indemne de l’exposition présentée par Laia Abril. « Histoire de la misogynie, chapitre 1 : de l’avortement ». L’intitulé de l’exposition a la sobriété clinique de sa démonstration : le corps des femmes, et plus particulièrement leur utérus, fait partout dans le monde l’objet d’un contrôle étroit qui confine à la haine.
Mais ne vous y trompez pas : si la démarche de la jeune photographe est rigoureuse et scientifique, les sentiments qu’elle suscite tiennent plus de la révolution intime. On s’imaginait tout connaître de l’avortement, de ses conséquences et de ses luttes, on sort de cette exposition bouleversé, avec l’impression de toucher du doigt, pour la première fois, toute la profondeur du sujet. C’est un pénis en érection recouvert d’une drôle de capote qui accueille le visiteur, dans ce bel espace du Magasin électrique. Le texte qui accompagne la photographie se veut pédagogue : « Couramment utilisés jusqu’au xixe siècle, les premiers préservatifs étaient fabriqués en Autriche à partir des vessies de poissons-chats et d’esturgeons. »
D’histoire et de géographie, il sera beaucoup question dans ce voyage au pays de la contraception et de l’avortement, qui balaie très largement les pratiques actuelles. Au gré des portraits et des documents, on découvre d’abord des visages et des histoires qui vous prennent aux tripes : celle d’une fillette, au Nicaragua, devenue mère à neuf ans à la suite d’un inceste, dont le gynécologue expliquait la « maturité gynécologique » pour justifier qu’elle l’ait menée à son terme. Celle d’une jeune femme âgée de dix-neuf ans, dénoncée par son médecin à la police, menottée sur son lit d’hôpital, après un avortement illégal au Brésil.
Toutes ces histoires et tant d’autres – en Pologne, au Pérou ou au Salvador – décrivent comment, en avortant, les femmes y ont laissé un peu de leur dignité, de leur intégrité physique, quand ce n’est pas leur vie. Quelques objets, parsemés dans l’exposition ou photographiés, rappellent aussi la barbarie des méthodes abortives non médicalisées : bain bouillant ou séjour nocturne dans la neige, dents arrachées, pierre de 18 kilos posée sur le ventre, tiges en bois et en plastique, poivre de Cayenne… ou « se jeter en bas des escaliers ».
Et puis, il y a ce tas de cintres, qui forment une sculpture fragile et aérienne au cœur de l’espace investi par la jeune artiste. C’est l’objet le plus communément utilisé dans le monde par les femmes enceintes désespérées, pour avorter. Il n’y a pas d’échappatoire, même esthétique, à la terrible démonstration qu’administre Laia Abril. Un téléphone bleu pétrole posé sur une étagère accroche le regard : si l’on décroche le combiné, on peut entendre les menaces hargneuses des militants pro-life aux États-Unis : « You like killin’ babies, dont you? »
Issus de ces mêmes mouvements pro-life, les « avis de recherche » de médecins qui pratiquent l’avortement aux États-Unis rappellent combien ce droit est fragile, même lorsqu’il est légal : celles et ceux qui le défendent le paient parfois, eux aussi, de leur liberté et de leur vie. En prenant son sujet à bras-le-corps, sans en évacuer la moindre dimension, même religieuse, Laia Abril réalise un travail passionnant et bouleversant. Il se révèle essentiel. Si vous passez à Arles, il ne faut surtout pas passer à côté de cette exposition, tout simplement.