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Cette année à Avignon, les récits d’exils et de migrations sont légions. « Place » s’y distingue par une sensibilité déroutante et la justesse de son propos. Tamara Al Saadi, lauréate 2018 du Festival Impatience avec ce spectacle, nous entraîne dans l’histoire d’une jeune fille d’origine irakienne, Yasmine, exilée à Paris avec sa famille à l’âge de cinq ans suite à la première guerre du Golfe.

La trouvaille principale de ce récit réside dans le dédoublement du personnage de Yasmine, incarnée au plateau par deux comédiennes : l’une à l’allure méditerranéenne, l’autre plus européenne, symbolisant le déchirement identitaire tel qu’il est vécu par la jeune fille. Ainsi, la Yasmine qui parle arabe se fait tour à tour boulet pour celle qui veut à tout prix « s’intégrer », avoir l’air plus française que les français, tour à tour celle qui lui rappelle qu’elle aussi une combattante, ex-fan de Rambo qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Partant d’une thématique somme toute déjà vue, Tamara Al Saadi retisse les motifs de l’exil et de l’intégration à travers des scènes marquantes, qu’il s’agisse du rapport aux autres enfants à l’école, de la place de la famille, ou encore de l’administration devant laquelle il faut toujours se présenter pour renouveler son titre de séjour et justifier de son comportement.

« Place » évoque bien évidemment la question de l’identité déchirée liée à l’exil, mais à travers l’histoire de Yasmine se déclinent des questionnements identitaires bien plus vastes, liés au passage à l’âge adulte, à la définition de soi dans la société et face aux conventions sociales à un âge où l’on en prend conscience. L’Irak, pays natal toujours présent en filigrane, apparaît donc moins comme un pays réel qui serait regretté qu’une figure de la nostalgie et du fantasme. Le combat de Yasmine pour réunir ses doubles et trouver enfin sa « place » devient en dernier lieu la lutte de tout un chacun, lutte pour la définition de soi à la fois qui passe à la fois par le politique et par l’intime. Le plateau se fait alors non pas le lieu de la réconciliation, mais celui de la mise en présence de ces deux entités distinctes enfin réunies dans le temps et l’espace, vertu ultime du théâtre. « Place » est un spectacle jeune, souffrant parfois de quelques légères maladresses techniques, mais dans lequel on ne peut qu’avoir confiance au vu d’une nécessité à dire et à montrer dont la forme et le sens sont achevés.