Diététique

Dressons la table. Au théâtre contemporain trop souvent cannibale, dit-on, complaisamment saturé en acides gras autoréférentiels, il faudrait substituer un théâtre de la juste dévoration, c’est-à-dire de juste milieu entre tendresse et cruauté. Parenthèse cinématographique : certains ont admis que le travelling est aussi une affaire de morale : on voudrait oublier que, sur scène, il existe une éthique de la digestion, et le critique, à cet égard, intervient à tous les étages du dispositif – il est apéritif, enzyme, détox. Le théâtre, comme la littérature, à l’estomac. Cela étant posé, notre « in/off » n’est qu’un point de départ. C’est surtout : « in/out », ce qui rentre et ce qui sort de l’intime ventral. On se souvient du mot de Degas à qui on présentait l’innovation téléphonique : « Alors comme ça, on vous sonne et vous y allez ? » Mot de grand bourgeois, bon. Mais à Avignon comme ailleurs, le critique est ainsi fait qu’il répond quand on l’appelle, même lorsque l’interlocuteur est – plus fréquemment que pas, car il est entendu depuis toujours que le critique de presse écrit pour dix lecteurs putatifs – imaginaire. S’il se nourrit de quelque chose, c’est d’abord d’espoirs sur le pouvoir de la parole, espoirs âpres et doux à la fois. Fantasmes ? Le réel donne raison au critique gastronome, parfois. Festin, festival : l’étymologie coïncide. Pourtant, prévenait Henry Miller, l’artiste a cessé de se considérer comme un pourvoyeur de nourriture spirituelle, il a cessé de tenir son état pour un sacerdoce et de se prendre lui-même pour un officiant. Il ne songe qu’à s’exprimer, qu’à libérer des forces qu’il ne peut contenir en lui. Soit ! Installons-nous, face aux planches, au banquet du Verbe, à l’eucharistie profane. Faisons asseoir la beauté sur nos genoux : ses morceaux ne sont peut-être pas aussi amers qu’on le croit.