"Que demande le peuple ?"

Réponse de Pascal Collin

« Étant donné un quatrième mur… » C’est la règle du jeu ? Alors trichons : étant donné qu’il n’y a pas de quatrième mur au théâtre, sinon selon une conception idéologiquement dominante mais historiquement limitée, il ne se passe rien derrière mais tout devant, avec le public. Fin du billet ? Pas tout à fait. C’est l’occasion de préciser qu’une représentation qui tient compte de la présence du spectateur ne souscrit pas pour autant à l’« abolition du quatrième mur » comme à un principe formel (brechtien), mais procède plutôt d’une réflexion actuelle, cruciale, sur ce qu’on fait, pourquoi et avec qui. Du théâtre : un rassemblement vivant où mettre nos différences en partage.

Je trouve ainsi révélateur – et je m’en désole – que le « quatrième mur » soit ici, certes sous forme de clin d’œil, un synonyme du théâtre voire une métonymie de son essence. La formule ne date pourtant pas des Grecs : née à la fin du xviiie, elle prélude à l’essor du théâtre bourgeois et/ou romantique. En fait, j’ai du mal à saisir « ce qu’il se passe » au théâtre, son événement unique et inouï, quand les acteurs s’efforcent de me voiler la réalité du présent pour mieux me faire croire à celle d’une fiction. Je n’y crois pas mieux. Au contraire. Et je m’étonne parfois qu’un projet artistique puisse prétendre à la nouveauté en adoptant d’emblée un langage conformiste. Comme si le théâtre bourgeois était le vecteur naturel de l’esprit critique. Comme si les formes n’avaient pas de sens. À bas le quatrième mur.

Étant donné alors la chute du quatrième mur, que se passe-t-il sur un plateau privé de l’illusion théâtrale, depuis longtemps mieux défendue par le cinéma ? Pour le réalisme, c’est mort. Pour son acolyte le moralisme, c’est compromis. C’est déjà ça. Pas de leçon, mais une interrogation réellement partagée. Là où l’on ne voit pas s’incarner des personnages, mais des acteurs jouer. Là où le théâtre vaut moins par l’exactitude de sa représentation du monde que par l’originalité de son questionnement sur lui-même, donc sur nous-mêmes, donc sur le monde. Là où les grands sujets d’humanité peuplant la scène ne sont pas des objets à consommer, dispensant de parler de théâtre, mais les signes d’une langue dont nous sommes tous interlocuteurs et responsables. Alors l’acte poétique du théâtre est aussi son acte politique quand, s’exposant à nu, il met en jeu sa nécessité.