Le Carreau du Temple, le cirque sans le chapiteau

Instante - Juan Ignacio Tula (c) Christophe Raynaud De Lage

Instante – Juan Ignacio Tula (c) Christophe Raynaud De Lage

Le Carreau du Temple, en partenariat avec la coopérative De rue et de cirque (2r2c), organisait deux soirées cirque contemporain dans le cadre de son temps fort « Second Square Forain Contemporain ». Le programme était pour le moins alléchant, et réunissait dans le même espace Mathurin Bolze, Juan Ignacio Tula et Cécile Mont-Reynaud.

Dans l’ensemble, la proposition se révèle aussi passionnante que belle. La soirée est traversée de moments de poésie autant que d’images fortes ou émouvantes. Le cirque proposé, en plus de s’honorer d’un courage certain dans la recherche, fait montre d’une grande sensibilité, d’un rapport au monde qui pour être décalé n’en est pas moins fort. « Instante », de Juan Ignacio Tula, particulièrement, constitue un spectacle vertigineux, ébouriffant de beauté autant qu’il est chargé de sens. Seul en piste, le circassien fait tournoyer sa roue Cyr dans les airs, s’en sert comme d’un hula-hoop, déjoue en tout cas les attentes en n’en faisant aucunement l’usage habituel. S’ensuit une danse hypnotique, fascinante, où le grand arceau de métal est autant agi qu’agissant. Tantôt il semble avoir le poids d’une plume, quand la maîtrise technique de l’artiste le fait tourner dans les airs comme si de simples caresses suffisaient à l’y maintenir. Tantôt il reprend toute sa densité, et son poids déplace brutalement l’artiste. Dans ce travail du mouvement circulaire et du rapport du corps à l’objet, qui n’est pas sans rappeler les expérimentations d’Alexander Vantournhout, Juan Ignacio Tula invite une couverture de survie dont les éclats métalliques brisés en tous sens magnifient la beauté du mouvement. L’expressivité de l’artiste, qui fait un véritable travail de masque, couronne la proposition et en fait un authentique bijou. « La Marche », de Mathurin Bolze, n’a pas déçu non plus, encore qu’il n’ait pas suscité un enthousiasme aussi franc. Le circassien évolue dans une grande roue fixée sur une plate-forme, dans un mouvement circulaire qui semble perpétuel. Il s’y abandonne, s’y adapte, teste la gravité pour mieux lui échapper. Tout son corps est sollicité et se prête à l’exercice dans une totale fluidité, une apparence de facilité déconcertante. L’humour n’est pas absent de cette proposition, telle cette image des chaussures de l’artiste qui tournent toutes seules, abandonnées au mouvement giratoire de la roue. La poésie, surtout, infuse le numéro, qu’elle se manifeste dans les attitudes corporelles, dans la musique – magnifiques « Gymnopédies » d’Erik Satie – ou dans les vers – extrait de « La Petite Bibliothèque du marcheur », de Frédéric Gros. Peut-être pas la proposition la plus technique de Mathurin Bolze, mais un dispositif déconcertant et bien exploité, et beaucoup de sensibilité et de nuance. Reste « Fileuse », de la compagnie Lunatic, interprété par Cécile Mont-Reynaud, qui impressionne surtout par son dispositif, aux possibilités étonnantes et à la plastique impressionnante. D’un mât de peut-être 6 mètres pendent trois couronnes de fils qui tombent jusqu’au sol. D’abord noués comme de longues lianes au tronc d’un arbre, les fils sont vite relâchés pour former des rideaux qui font comme une forêt bruissante. L’artiste se glisse entre eux et les utilise comme des cordes pour évoluer au-dessus du sol. Une bande-son donne à entendre les mots de la poétesse Laurence Vielle, prononcés par l’auteure. Les évolutions et hésitations de l’acrobate répondent aux questionnements portés par les vers, sur la féminité, le temps qui passe, le corps qui évolue. Une proposition visuellement très belle, mais qui se perd parfois un peu dans sa longueur.