Summerhall, centre d’art éléphantesque

Festivalier acharné en juillet, vous auriez bien de la peine à enchaîner sur celui d’Édimbourg, car il est aoûtien. Alors, pour vous, j’y suis allé voir…

Summerhall

D.R.

Cet été-là, j’ai fait l’impasse sur Avignon, et le 3 août, affamé de spectacles, je m’envole vers le plus grand festival de théâtre du monde. Même si la ville d’Édimbourg est époustouflante avec ses reliefs volcaniques, son gazon vertical et ses façades à créneaux empilées les unes sur les autres, je suis déçu en arrivant. Je ne vous parle pas du thermomètre en chute libre et de la bruine glacée qui me coule dans le cou. Mais où est le festival ? Où sont les parades ? Les foules piétonnières armées d’annuaires-programmes, les murs tapissés d’affiches sauvages ? Ouf, je repère enfin un signe sur le toit des bâtiments officiels : partout les drapeaux ont été remplacés par un carré de tissu blanc où flotte un joyeux Hello de bienvenue.

Car tout se passe dans les venues : quartiers fermés, parcs publics, bâtisses immenses où les tireuses à bière coulent à flots — ici on ne s’assied pas au théâtre sans son demi-litre de pale ale. Je m’y mets aussitôt. Mon premier spectacle, un cabaret social, a lieu dans une salle paroissiale, je trinque avec une délégation chinoise. Le suivant est à Summerhall, je retrinque avec un programmateur du Tamil Nadu. Ici, quand on dit « festival mondial », c’est mondial. Artistiquement, il faut faire le tri, normal. Beaucoup de théâtre commercial, mais aussi des troupes très engagées, un esprit underground qui rappelle le foisonnement de feu le Festival de Nancy.

Alors vite, que je vous parle de Summerhall, la plus vivante de toutes ces venues.

Depuis plus d’un siècle, les étudiants y ont disséqué éléphants, chimpanzés, vaches et canards. Et lorsque l’école vétérinaire d’Édimbourg s’est transportée dans un bâtiment plus moderne, on s’attendait à ce que l’immense édifice de briques devienne une arcade commerciale chic, avec boutiques et restaurants… Eh bien non, le lieu restera une école vétérinaire, a annoncé Robert McDowell, après l’avoir payé cash au nez et à la barbe des promoteurs immobiliers. Mais pour artistes.

Partout dans l’infini rhizome de couloirs, escaliers en colimaçon, salles de cours conservées jalousement dans leur état premier, des spectacles à foison, des collections d’art contemporain, des concerts, restaurants, salles de lecture, et même un barbier sikh et un labo où est brassée la bière maison. En préservant ici et là squelettes d’animaux ou planches anatomiques rescapés de l’ancienne école. « Si c’était un projet culturel du gouvernement, ils l’auraient habillé comme ils imaginent qu’un centre d’art se doit de l’être. Nous voulons conserver le caractère de cet endroit. Ça reste une école vétérinaire. »

À la fois consultant financer, artiste et ancien assistant de Joseph Beuys, l’espiègle Robert McDowell a décidé de s’amuser en grand et réinvente la figure du mécène en soutenant la marge plutôt que les arts officiels. Et de contrer l’hégémonie du stand up omniprésent durant le Fringe, en invitant une kyrielle de performers européens parmi les plus déjantés. En prolongeant douze mois par an l’esprit du festival dans la capitale écossaise, Summerhall s’est imposé du jour au lendemain comme the venue où il fait bon vivre : « Notre stratégie est de ne rien dire sur ce que nous faisons. Nous voulons que les gens le découvrent par eux-mêmes, se sentent privilégiés de le connaître… »

Bref, ne cherchez pas plus loin : si en août votre instinct festivalier vous démange encore, c’est vers Summerhall qu’il faut vous envoler !