I/O n°49 [édito] : À force de m’être cherché, c’est toi que j’ai perdu

« Danser,
Est-ce remplir un vide ?
Est-ce taire un cri ?
C’est la vie de nos astres rapides
prise au ralenti. »
Rilke

Le geste échappe à la peau longtemps, on y tourne autour, on s’en approche, on le frôle, on le découvre, on le visualise, on l’essentialise, on le perd, on l’oublie et on le cherche à nouveau. Puis un soir ou un matin, ce mouvement devient nôtre ; il s’inscrit non seulement dans la mémoire mais surtout dans l’intime, dans le fondement ontologique du corps qui danse. Le geste doit être ingéré avant d’être donné, une forme de cannibalisme ou de métamorphose nécessaire au partage des émotions.
 Ce corps intérieur exprime ainsi sa pensée (au-delà ou à partir de celle du chorégraphe), son sentiment, sa douleur, son angoisse par la peau. La peau écoute, reçoit, frissonne, se plie, s’irrite, rougit, se blesse, transpire et respire. Didier Anzieu dit dans « Le Moi-peau » : « La peau apprécie le temps (moins bien que l’oreille) et l’espace (moins bien que l’œil), mais elle seule combine les dimensions spatiales et temporelles. La peau évalue les distances sur sa surface plus précisément que l’oreille ne situe la distance des sons éloignés. » 
La peau est un lieu mémoriel.

Le danseur connaît, perçoit et subit sa faculté d’incorporation et de mémorisation.
 Le danseur reçoit par le toucher et cette impression s’inscrit dans la peau. Elle garde les sensations en tant que signes plus que le cerveau ne s’en souvient.
 Sur la peau se marquent et se lisent toutes les traces et par le toucher ce qui était déjà senti se commémore. Comme une accumulation des sensations, l’enveloppe garde toute l’histoire du corps individuel. Charnelle en acte et en soi, la peau de celui qui danse devient messager, vocabulaire sans épithète, grammaire sensorielle qui va affoler les pores de ceux qui sont prêts car disponibles à accueillir.
 C’est ainsi qu’avec Élie Faure, en préambule de ce numéro consacré aux festivals de danse, nous affirmons que « la danse est celle de nos fonctions qu’on peut le plus évidemment qualifier de divine. Elle est la messe de tous les peuples primitifs et peut être un hommage instinctif… à l’ordre de l’univers. »