De la tenue, du maintien

Splendeur et lassitude du capitaine Iwatani Izumi

© Tristan Jeanne Valès

Créé en 2014 à l’occasion du Spring Arts Festival Shizuoka, « Splendeur et lassitude du capitaine Iwatani Izumi » est une adaptation, ou plutôt une renaissance, du texte de Jean Lambert-Wild paru en 1998, alors consacré au Capitaine Marion Déperrier. La nécessité de retourner à cette partition d’une exigence inouïe est née du coup de foudre de l’auteur-metteur en scène pour le génial comédien japonais Keita Mishima. Lambert-Wild a immédiatement vu en lui la puissance et l’intelligence essentielles à l’incarnation de son « fou de guerre », et il a vu juste. Peu importent les difficultés de traduction linguistiques et culturelles, c’est une énergie vive et partagée qui guide les deux hommes dans la création de cette œuvre singulière. Le texte original est rebâti, dépouillé de ses références occidentales, et sa poésie traduite en japonais par Akihito Hirano, en étroite collaboration avec l’auteur, pour atteindre une nouvelle musicalité. Keita Mishima, dont le capital sympathie inonde la salle dès son entrée, campe un militaire rongé par la folie et la solitude, en perdition dans une jungle boueuse et nauséabonde. Dès les premières minutes du spectacle, encerclé par le public, pris au piège, il danse des chants martiaux, s’essouffle et se désarticule, comme dépossédé de son corps. La mousse au coin des lèvres et le regard ahuri, il débite un flot de paroles incessant, lancé dans une escalade hystérique qui risque fort d’abandonner le spectateur dans le fossé. Mais le talent de Mishima est immense : aussi repoussant qu’hypnotisant, il réussit à nous faire oublier qu’on ne comprend pas le japonais. À moitié nu sous une lumière crue, tour à tour combattant, danseur, gamin, séducteur, ce comédien hors norme livre une performance ébouriffante. On regrette toutefois par moments de ne pouvoir jouir pleinement de la poésie des mots de Jean Lambert-Wild, dont le rythme est littéralement haché par le surtitrage. Il faut alors savoir renoncer et se laisser porter par la beauté d’une interprétation pleine et épatante.