Festen : allers-retours des images

Festen

(c) Simon Gosselin

Que voilà un mythe, un vrai, un de ceux qui vous balancent une claque dans les certitudes, un coup de pied dans les burnes de l’autosatisfaction plaisante d’un monde bien fait.

Le patriarche reçoit sa famille et ses amis, satisfait d’une vie bourgeoise réussie socialement et familialement. Malgré un drame récent – l’un des enfants s’est donné la mort. L’on apprendra dans un huis clos pesant et sans espoir de rédemption que les abus sexuels du père sur ses enfants, révélés dans une montée en tension rare, en sont la cause. Le choix d’une double narration, théâtre vivant et captation simultanée projetée sur écran géant au-dessus de la scène, est une expérimentation intéressante. Cette mise en images permet les gros plans, la perception en pleine figure, décomposition des visages à l’égal de la décomposition du lien qui les unit. La mise en évidence du mensonge. La laideur des corps et des expressions. Prise de distance réflexive en regard de la lourdeur du sujet.

Dans le même temps, sur scène, se déroule l’enjeu des conventions. Et il y a fascination à observer en soi cette émergence bipolaire, cognition vacillante entre la beauté de la scène et l’horreur rapprochée de l’image vidéo. En cela, c’est très réussi. Mais notre cerveau se laisse duper et résiste à cette double lecture concomitante. Les allers et retours entre image et réel font mal à nos neurones. Empêchent l’abandon à la montée en tension étouffante. Domination de l’image sur le réel. Question plus universelle que dans ce moment de théâtre : que reste-t-il au charnel ? Et l’on ne peut s’empêcher alors de faire comparaison au film éponyme, sublime, où l’abandon au malaise était entier, plein. Sans échappatoire. Et où la mutation de notre propre psyché, l’évolution du regard sur le normal, sur la protection des apparences plutôt que de l’enfance, s’exerçait avec une puissance complètement autre. Au final, un objet théâtral vraiment bien fait, puissant, mais où le choix de la double exposition vidéo et scène empêche l’abandon à un malaise salvateur car transformateur.