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Roland Auzet reprend l’exercice de Francis Poulenc en mettant en scène et en musique la pièce de Jean Cocteau « La Voix Humaine ». Le texte est parsemé d’extraits de « Disappear Here » de Falk Richter, comme un engrais de modernité qui transforme les fils des opératrices du 20ème siècle en réseaux satellitaires et antennes relais d’aujourd’hui. Une épice pour relever l’actualité du sujet : la dilution de nos relations dans les méandres des nouveaux modes de communication.

C’est l’histoire d’une rupture. Deux amants se séparent, malgré l’amour qui persiste, l’homme est engagé dans un mariage de raison avec une autre. Sur scène, la femme est suspendue au bout du fil. Le seul lien qui perdure avec l’être aimé, c’est la conversation téléphonique. L’appel est comme la ligne de vie que tient la Moire. Ici, Irène Jacob se débat comme une lionne en cage dont on ne sait si elle veut mourir ou dévorer son bourreau pour mieux se libérer de cette dépendance affective.

Cette problématique de la vie qui tient à un fil, Roland Auzet la prend au pied de la lettre. L’espace de jeu, une plate-forme transparente, est littéralement suspendu en l’air et c’est d’en dessous qu’on assiste à la dernière déambulation de cette femme, comme dans un couloir de la mort. Ce personnage en crise, c’est lui qui nous domine, quand d’ordinaire au théâtre, le public surplombe la scène. Entre nous, allongés au sol, et le plateau, un coussin d’air, et c’est dans cet intervalle que réside la singularité du geste du metteur en scène compositeur. On dit souvent que le Théâtre est ce qui ce joue dans l’espace entre la scène et la salle. Ce vide symbolique, Auzet, s’en sert de caisse de résonance et le remplit de musique électro-acoustique. Il ne s’agit pas d’un accompagnement émotionnel ou narratif, comme chez Poulenc, mais d’une poésie autonome, résistante, à l’instar de celle de Richter. Clusters dissonants, traitement de voix, ou encore ces deux notes qui se répètent comme une alarme intérieure : la musique vivante (mixée en live) fait action, autrement dit elle participe du drame. Irène Jacob compose son jeu en réplique avec les phrases musicales. Il est là le vrai interlocuteur fantôme du fameux dialogue tronqué de Cocteau, dissimulé dans la douzaine de haut-parleurs qui nous entourent. Miroir de ce pas de deux vocal et sonore, l’image, qui s’articule entre les mouvements de l’actrice chorégraphiés par Joëlle Bouvier et la lumière de Bernard Revel, crépuscule délicat secoué par des flashs, quand gronde cet orage intime.

« VxH » est un rituel d’adieu à l’égard de ce qui a déjà disparu mais dont la présence persiste en nous, comme la lumière de ces étoiles éteintes qui nous parvient toujours. Un palimpseste, dialogue à une voix intergénérationnel, d’un auteur ou d’un compositeur à l’autre. Ce jeu de celui qui parle et de celui qui se tait est un motif cher à Roland Auzet. Et c’est dans l’absence de réponse, dans l’écho du silence qu’il réinvente à chaque fois une nouvelle prise de parole, celle du Théâtre Musical.