Vous reprendrez bien un peu de pétrole ?

Il nous faut l'Amérique !

(c) Gaël Maleux

Badibadi est enceinte. Son mari, Topitopi, rompt le pain, tendre mais peu nourrissant, et se prend le chou avec son acolyte Opolo. Le pain devient sujet de discorde : qui, le premier, a parlé du pain ? En réalité, qui, des deux hommes, a le pouvoir ? Le pouvoir sur qui, quoi, d’ailleurs ? Badibadi, chassée à la cuisine, s’en va aux toilettes et revient éberluée : elle pisse du pétrole. La vie des trois hurluberlus s’en trouve transformée : argent, influence, attention des médias, la déferlante du succès et de la célébrité.

« Il nous faut l’Amérique ! » est une comédie loufoque dans laquelle, comme le dit Badibadi, « pour une fois, il n’est pas question que des Blancs ! ». Leur spectre plane cependant au-dessus de la scène, désincarnant le rêve américain qui semble être dès le début et rester tout au long de la pièce le moteur des trois, puis quatre personnages. La pièce surfe entre archétypes (l’homme d’un village africain, bon vivant et plutôt rustre, qui menace à tout bout de champ sa femme de la battre, sa femme qui fait la cuisine et doit se taire mais parle trop, l’ami un peu trop présent dans le couple) et personnages atypiques, comme ceux que sert la multitâche Uiko Watanabe, pour nous dresser un portrait divertissant de la beauté candide de celui qui veut croire en son rêve, dans un monde capitaliste qui tue dans l’œuf les initiatives fantasmées.

Pourtant, le texte n’ose pas rêver hors de ce même système capitaliste, et les fantasmes (in)avoués formulés par les personnages n’ont pas le chic d’échapper à l’emprise du monde, tout englués qu’ils sont dans leurs problèmes pétroliers. La grande liberté de ton de la mise en scène, qui prend le parti de l’absurde et du loufoque, et l’aisance et la spontanéité des acteurs et actrice sont néanmoins rafraîchissantes. En résulte un spectacle enlevé, drolatique, où chacun en prend pour son grade, à grand renfort d’effets spéciaux : une pause bien bavarde et inattendue qui n’est pas sans laisser matière à réfléchir, sans toutefois pousser à une introspection radicale.