Que reste-t-il de nos enfances ?

Le Dernier Ogre

(c) JO

Que nous sommes heureux d’avoir enfin pu découvrir la version finale du « Dernier Ogre », dont on avait vu et aimé une version de travail lors de l’édition 2018 du festival Mythos, à Rennes. La compagnie Le Cri de l’armoire est une de nos grandes découvertes de l’année passée, un « coup de cœur », comme on dit, bien que l’expression soit trop souvent galvaudée, et ce cœur, il battait fort en entrant dans la salle du théâtre de Châtillon. Allait-on être déçu par ce spectacle que l’on attendait depuis de longs mois ?

Non. Bien sûr que non, nous n’avons pas été déçus, et Marien Tillet et Samuel Poncet ont confirmé leur statut de petits préférés de la rédactrice de ces lignes. Mais prenons les choses par le début. « Le Dernier Ogre » est une réécriture en partie slamée du « Petit Poucet ». En partie, car Marien Tillet entremêle deux lignes narratives à première vue distinctes : la ligne de l’Ogre, slamée, donc, et en alexandrins qui plus est, reprend le meurtre des sept filles par leur père et la découverte de son crime au matin ; l’autre ligne met en scène ce qu’on serait tenté d’appeler « un mec bien », un père de famille qui veut bien faire, si bien faire, trop bien faire.

Jusqu’où peut-on aller pour rester fidèle à soi-même et à ses convictions ? Jusqu’où, aussi, quand on pense faire ce qu’il faut ? Avec une virtuosité que l’on trouvait déjà dans « Paradoxal », une de leurs créations précédentes, Marien Tillet et Samuel Poncet parviennent à distiller l’angoisse au compte-gouttes, sans qu’on y prenne vraiment garde. C’est la bonne foi qui déraille, l’humanité qui se grippe, jusqu’à l’irréparable. Ainsi, ce n’est pas l’homme qui est meurtri, mais, là aussi, ses enfants.

« Le Dernier Ogre » danse sur le fil tendu qui sépare les victimes des bourreaux, nous disant que les uns peuvent devenir les autres, et vice versa. Tendu comme ce drap en fond de scène, sur lequel Samuel Poncet dessine en direct le décor. Une maison, un champ d’orge, et soudain des corps qui pendent, l’horreur qui s’invite au sein du paradis. Marien Tillet, lui, a la grâce commune aux boxeurs et aux ballerines. À la sortie de la salle nous reviendra en tête cette phrase, chantée par Daniel Darc il y a bientôt quinze ans : « Pardonnez nos enfances, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont enfantés. » Une tragédie de l’enfance. Voilà.