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Du 29 juillet au 2 septembre le Théâtre du Peuple (Bussang) programme “Cyrano de Bergerac”, dans une version proposée par la compagnie Yanua. Une mise en scène classique, efficace même si sans grande invention, d’un classique dont les zones d’ombre sont peu questionnées, mais qui privilégie le plaisir du texte.

Cyrano, cent fois filmé, mille fois monté, mais toujours aussi indémodable. On ne peut nier qu’il s’agisse d’une œuvre populaire, que cela soit sous l’angle de son public ou sous l’angle de son succès. Les rodomontades de l’improbable héros, l’amour passionnel et quelque peu suranné, les morceaux de bravoure que sont les tirades interminables que la moitié de la salle connaît par cœur, le tout sur un fond de roman d’aventure ou de film de cape et d’épée, tout contribue à faire de cette pièce un spectacle auquel il est difficile de ne pas prendre plaisir. La versification redoutablement efficace d’Edmond Rostand et la structure de la pièce, toute entière écrite pour servir le rôle-titre, finissent de faire de “Cyrano de Bergerac” une machine à succès, propre à convaincre même les plus réfractaires au théâtre.

Et l’effet ne manque pas de se produire : Katja Husinger et Rodolphe Dana servent aimablement ce dernier dans le rôle rimailleur bretteur, et bâtissent la mise en scène autour de lui. La salle du Théâtre du Peuple convient extrêmement bien à la pièce : les loges sur les côtés pour l’Acte 1, l’ouverture sur la forêt pour le siège d’Arras pendant l’acte 4, et, surtout, pour le jardin du couvent dans l’acte 5, tout cela s’impose avec la force de l’évidence. Ce n’est pas pour autant que la mise en scène ne soigne pas ses effets, avec une très belle scénographie dans l’acte 2, même si le fameux balcon de l’acte 3 est plus décevant et tranche avec le réalisme des autres scènes. On apprécie particulièrement que l’acte 1 joue dans toute la salle. La direction d’acteurs force un peu le trait : Rodolphe Dana est un Cyrano bravache dans la pure tradition du film de Jean-Paul Rappeneau, Olivier Dote Doevi dans le rôle de Christian s’agite mais ne trouve rien de consistant dans quoi plonger les dents, Laurie Barthélémy campe une Roxane d’abord enjouée et bondissante qui devient une madone tragique, Antoine Kahan en fait des tonnes pour rendre de Guiche bouffon et risible. Les amateurs et amatrices sont évidemment au rendez-vous, et s’en tirent avec plus ou moins de bonheur, tandis qu’une armée de figurants et figurantes complètent les tableaux.

Ca fonctionne très bien, même si c’est sans inventivité : à part quelques coupes heureuses – notamment dans la scène XIII de l’acte 3 – mais qui font parfois disparaître des à-côtés poétiques qui, s’ils ne sont pas indispensables à l’intrigue, font de jolis moments – la fin de la scène IV de l’acte 1 – on a le droit à une lecture comme à une interprétation de la pièce qui collent sans en dévier aux canons de l’exercice. Il est un peu dommage, en 2023, de ne pas chercher à mettre un minimum en abyme les travers de la pièce. On peut ne pas traiter son bellicisme, et, il faut le dire, son chauvinisme de bon ton, qui s’expliquent par le contexte historique dans lequel la pièce est écrite – mais on perd une bonne occasion d’inscrire la pièce dans ce que l’époque a de plus tristement sanglant. On peut sans doute moins se permettre de ne pas tenter de démêler ce qui relève d’un romantisme innocent de la manipulation pure et simple, de tenter de séparer le courage et l’abnégation de ce qu’on désignerait de nos jours sous l’étiquette “masculinité toxique”, de traiter enfin la question de ce personnage de Roxane qui n’est qu’un objet de désir (superficiel) que les hommes se refilent et qui joue les potiches décoratives, même si l’acte 4 lui rend un tout petit peu d’initiative. En ne travaillant aucune de ces questions, l’adaptation / mise en scène de la compagnie Yanua se contente du facile, c’est-à-dire de faire une pièce-plaisir, une pièce qui divertit, une pièce qui se laisse bercer par la langue si belle de Rostand. Mais elle passe à côté de la possibilité d’en faire une pièce de notre temps.