“N’être plus rien après tant c’est pas juste”, chantait Goldman dans une autre vie. Et c’est avec une émotion d’adolescente bafouée qu’il faut s’adresser à Angelin Preljocaj, lui qu’on a aimé au point de tout pardonner, tout avaler. Au point de dire, une dernière dernière fois, oui à un ultime dernier verre. Mais cette fois c’est fini. Nous effaçons nos SMS échangés et brûlants. C’est fini. « Retour à Berratham », créé pour la Cour d’honneur, est une insulte faite à la danse et à la carrière de ce chorégraphe qui, avec « Personne n’épouse les méduses », dans ce même lieu, en 1999, avait divisé la Cour en faisant entrer la danse dans l’ère de la performance.
Ce n’est pas la première fois qu’Angelin Preljocaj fait dialoguer le texte et la danse. On se souvient de son sublime « Funambule », où il s’investissait entièrement au service du texte qu’il disait simplement, avec une voix calme, légèrement voilée, mélodique, et engageait tout son corps, souple ou tendu, continuellement en équilibre. On se souvient il n’y a pas si longtemps, en 2012, de « Ce que j’appelle oubli », où déjà il faisait appel à la plume de Mauvignier. Le spectacle alors racontait un fait divers abject grâce à des gestes lents posés dans un rythme soutenu.
Ici, sur le papier, l’affaire semble parfaite : Preljocaj à la chorégraphie, Mauvignier au texte et Adel Abdessemed à la scénographie. Adel Abdessemed dont on admire tant le travail très brûlant offre ici un décor de décharge pleinement réaliste où les voitures carbonisées s’accompagneront de jets de poubelles. Et voici que le spectacle commence. Entre le chœur des femmes en long, déroulé du haut du dos, pieds tentés par les pointes. Puis le texte en même temps vient dire ce que la danse montre, puis la danse montrera ce que le texte dit. Taisons le fait que les murs latéraux de la Cour sont ornés d’un mur végétal incompréhensible.
Le geste se fait dater dans une version guerre des Balkans de « West Side Story ». À aucun moment il n’est possible de s’accrocher à l’histoire de ce jeune garçon amateur de longs jetés qui revient dans cette terre inventée qu’est Berratham à la recherche de son amour perdu.
La danse est ici excessivement lyrique, démonstrative et illustrative. À choisir, on préfère encore se concentrer sur les voix qui ont le mérite d’être neutres de Laurent Cazanave, Niels Schneider et Emma Gustafsson. Mais leur distance de jeu ne met que plus en valeur la vacuité du texte de Mauvignier, qui se fourvoie dans des facilités de description : « Il marche. »
Impossible de ne pas penser ici à « Golden Hours », le chef-d’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker largement controversé au Théâtre de la ville récemment. En montant « As You Like It », de Shakespeare, sans jamais chercher à illustrer son récit, elle a prouvé que le corps seul était langage pouvant faire entendre un texte. Preljocaj a longtemps su faire ça. « C’est environné du réel le plus aride que se déploie le merveilleux », écrit et lisait Eric Reinhardt récemment dans la cour de Calvet. Preljocaj a abandonné le radical qui rendait la violence palpable dans le pourtant très drôle « Paysage après la bataille », fait en collaboration avec Vejvoda (1997).
Goldman ne chante plus. Dont acte.