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Ceux qui errent ne se trompent pas

(c) Christophe Raynaud de Lage

(c) Christophe Raynaud de Lage

Il ne reste, après le déluge, qu’un long silence mouillé, étrangement fragile, à mi-chemin entre la naissance d’un espoir et le point de départ du chaos. Il a plu tout ce dimanche d’élection et l’avenir se dessine en pointillés énigmatiques. De la révolution des urnes naîtra l’obscurantisme ou la lumière.

« Ceux qui errent ne se trompent pas » s’achève en effet avec moins de certitudes qu’il n’y paraît : les élections ont donné lieu à un raz-de-marée de votes blancs, balayant l’arrogance des élites politiques installées, révélant l’insoumission populaire latente, déclenchant conflits et désordre social, mais dans le même temps semble poindre la naissance d’un nouvel ordre politique totalitaire. La page est sur le point d’être tournée : l’insatisfaction et la méfiance du peuple envers la classe dirigeante enfin récompensée par sa cohésion ou, à l’inverse, avènement d’un ordre politique plus ferme, plus sécuritaire, pour contrôler une nation dévoyée par les idéaux… L’élan populaire suffit-il à instaurer plus de sens, plus d’équilibre, moins de mépris et de sarcasme politique ? C’est en explorant les confins du politique, les frontières de la conscience collective, la lisière entre insoumission et révolte, que Maëlle Poésy questionne une problématique aux échos évidemment terriblement actuels.

Le spectacle de la jeune metteur en scène, créé à la Scène nationale de Chalon-sur-Saône en mai, et qui recueillit un franc succès au CDN de Dijon-Bourgogne dans le cadre du festival Théâtre en mai, flotte donc au-dessus de l’actualité, s’en inspire et la devance même, s’achevant dans une dystopie aux allures comico-tragiques.

Car « Ceux qui errent ne se trompent pas » n’est pas tant un pamphlet politico-sociétal qu’une satire, avec les défauts qui incombent à son style. Si la satire autorise de grossir les traits, d’insuffler l’audace ou la provocation, elle n’explore pas nécessairement profondément la question qu’elle soulève, ni sous forme de proposition ni sous forme d’analyse. Certains déploreront que la proposition reste donc trop en surface. Elle se dessine plutôt en effet comme un pavé jeté avec ironie dans le marasme ambiant d’une nation au bord d’une rupture politique charnière.

Sur le plateau, aucun espace n’est laissé ignoré, aucune possibilité inexplorée. Maëlle Poésy favorise le mouvement et la déconstruction : le décor, au départ statique et resserré, laissant peu d’espace, s’ouvre peu à peu, chaque scène libérant tantôt un coin du plateau, tantôt l’irruption d’un élément extérieur. Sur le plateau pénètrent, comme dans une procession inexorable vers le chaos, la pluie, le vent, la nuit, les bruits, jusqu’à un final qui balance de l’apocalypse au climax esthétique. La scénographie, les lumières, le son donnent à « Ceux qui errent » des allures de spectacle total, un peu fou, un peu irraisonné, un peu désaxé.

L’humour, dans les dialogues de Poésy et Kevin Keiss, avec qui elle a travaillé (adaptant le roman de José Saramago « La Lucidité »), est surligné par les situations et le jeu des comédiens, aux stéréotypes très dessinés, dirigés à la perfection. Le genre de la satire est ici absolu, dessinant derrière son masque persifleur les contours d’une problématique accouchée d’une politique bancale : comment la démocratie, le pouvoir, le peuple, l’engagement, le courage, la responsabilité, la manipulation (médiatique, sociale ou politique) peuvent-ils cohabiter ? Pour les réponses, ne cherchez pas dans le spectacle une conclusion professorale, elles se trouveront (peut-être) dans les débats que le spectacle engendrera postreprésentation. Et c’est là tout son intérêt…