Laura Perrudin – © Nicolas Joubard

Laura Perrudin campe une présence à la fois intense et évanescente dès son entrée sur scène. Adieu les boucles d’or, exit le visage d’enfant sage de la jeune harpiste qui avait remporté un prix au tremplin du festival Jazz-à-Saint-Germain-des-Prés en 2014. Laura Perrudin, cheveux aux ras de la nuque et vêtue de noire, se montre sous un nouveau jour à la fois sombre et bleuté d’où émerge sa voix nette et pure.

Avec Poisons et Antidotes, l’artiste revient avec un album solo audacieux, où se déploient toute ses qualités : d’instrumentiste, de compositrice, d’arrangeuse et de chanteuse. Le jazz s’y mêle à de la pop, de la folk, du groove, une pincée de rap, on ne sait plus trop mais on se laisse bercer par son invitation au voyage. L’artiste s’explique : « A l’image de ma génération, j’ai été nourri pas plein d’esthétiques différentes, comme le jazz, l’électro, la folk, la new soul. En terme d’esthétique je me sens apatride et « pluripatride » si l’on peut dire. J’ai plusieurs berceaux qui ne font qu’un. »

Laura Perrudin joue debout de sa harpe et orchestre de ses pieds et de ses mains les effets et les boucles qui sont envoyés vers un looper multipiste puis mixés en direct par son ingénieur du son Jérémie Rouault – un proche avec qui elle travaille depuis son premier album, Impressions. Seule sur scène, elle pourrait avoir du mal à réchauffer la salle mais c’est tout le contraire. Comme des sortilèges, elle démultiplie les sons, les matières sonores qui remplissent et réchauffent l’espace.

Ici, la harpe – à la fois électrique et chromatique – n’est plus véritablement une harpe mais plutôt l’outil à partir duquel elle tisse sa toile : une ligne de basse, des accords qui sonnent comme ceux d’une guitare, des baguettes de percussionnistes avec lesquelles elle frappe le bois de la harpe pour créer un kick. A cette matière première, Laura Perrudin ajoute des effets qui lui permettent de sculpter véritablement ses sons. Laura Perrudin fait plus que renouveler le répertoire de la harpe : elle a trouvé une façon bien personnelle de produire sa musique et de matérialiser son univers intérieur.

Poisons and Antidotes apparaît comme un album de maturité. Dans Impressions, elle s’était fait la main en mettant en musique des textes qui n’étaient pas les siens (James Joyce, Oscar Wilde, Shakespeare, William Butler Yeats). Cette fois elle revient avec des textes intimes, elliptiques et tortueux à l’image de « Pavane de la patte d’Oie » : “J’y ai laissé des plumes / Dans cette patte d’oie / J’ai humé sous l’enclume / Des sinistres choix / L’écrasante amertume / de renoncer à toi / Et soulagée j’exhume / Ce qu’il reste de moi.” Laura Perrudin signe à l’encre bleue un album organique aux textes ciselés. Espérons que la magie continue.