La récente parution de “La Chasse aux loups” aux éditions Classiques Garnier est un événement éditorial. En effet, on croyait perdu ce roman de Louise Michel initialement publié en feuilletons, en 1891.

Fille naturelle d’un châtelain voltairien de la Haute-Marne, être tout d’oblations profanes, pédagogue en avance sur son temps, conférencière, ambulancière, soldate de la Commune de Paris, déportée en Nouvelle-Calédonie, partisane de la révolte des Canaques, la « Vierge rouge » fut aussi un écrivain foisonnant. Outre ses poignants souvenirs (“Mémoires”, 1886 ; “La Commune”, 1898), Louise Michel a écrit maints poèmes, contes et romans populaires. Sa manière mêle Histoire et histoires, Eros et Thanatos, mythologie et cosmogonie. Les communards font ainsi un retour spectral dans “La Chasse aux loups” – vingt années
exactement après une « Semaine sanglante » de sinistre mémoire. Quand la réaction victorieuse truste l’écriture de l’Histoire, la littérature est l’asile des vaincus, le médium d’un contre-pouvoir, le vecteur du monde qui pourrait être.

“La Chasse aux loups” est un récit haletant. Il débute, en 1883, à Saint-Pétersbourg, par une évasion (celle d’un nihiliste russe, Ebenezer) et un assassinat (celui du chef de la police Soudeïkine). La suite nous projette dans le Londres de Jack L’éventreur – à mi-chemin entre celui, antérieur, de Charles Dickens et celui, postérieur, de George Orwell. Michel parsème son roman de fines notations politiques : ainsi pose-t-elle que la tolérance anglaise pour les idées révolutionnaires a le fâcheux don d’émousser les antagonismes comme les impatiences. Ailleurs, l’auteure note – bien avant Chaplin ou Foucault – que l’internement est la plus perfide des répressions : être tenu pour fou – mésaventure commune à Ebenezer, son protagoniste, et Michel elle-même peu avant l’écriture du roman
– est une atteinte pire encore que la mort ; elle est privation de crédibilité.

La très soigneuse édition de Claude Rétat – spécialiste de la littérature du XIXe siècle, en particulier du romantisme, de Hugo et Michelet – nous introduit précisément dans cette époque qui voit l’anarchisme gagner en violence (violence que l’on tient – comme chez Lénine plus tard – pour une contreviolence). De fait, nous sommes peu d’années avant les faits d’armes des Ravachol et autres Caserio. Rétat nous permet de mieux cerner aussi ce qui tient au contexte et ce qui est propre à la « louve noire ». Nous apprenons ainsi que les motifs de la « chasse » et des « loups » sont récurrents dans le second XIXe siècle. La chasse hante déjà les premières lignes du “Manifeste du parti communiste” tandis que la relecture de Hobbes a mis les loups humains au premier rang des métaphores militantes. L’urgence l’emporte sur la correction et la grammaire dans ce roman rageur, vengeur – électrique, même. Dans son “Dictionnaire de la Commune” de 1971, évoquant la manière de Louise Michel, le poète Bernard Noël parlait de « livres à la fois irritants et passionnants parce que faits de pièces et de morceaux, avec de longues platitudes et tout à coup des éclats, un souffle comme chez un très grand poète. »

Les dénonciations et les rêves sont lestés, ici, d’un engagement majuscule ; le tableau de la multitude ne sombre jamais dans le misérabilisme grâce une poésie et une fraternité incontestables. De cet opus d’une femme défaite mais pas à terre, on retiendra enfin l’âpre épilogue : tout révolutionnaire doit savoir mourir et savoir tuer – cette seconde science étant des deux la plus difficile.