Le metteur en scène Joan Mompart nous emmène en voyage dans les songes d’une petite fille avec « Oz », écrit à sa demande par Robert Sandoz et pensé pour la jeunesse comme une invitation à l’audace, celle d’affronter ses peurs, ses démons et ses entraves.
Une séquence filmée sert de prologue : un avis de tempête sur les prix résonne dans la galerie marchande. Dorothy fait un caprice, elle exige que son père lui offre une paire de chaussures. Sa colère monte, se transforme en crise de panique et l’enfant s’évanouit. Le rideau s’écarte et c’est dans ce moment d’absence que le drame s’inscrit. La gamine se retrouve dans une chambre, espace mental intime, projection aux allures cauchemardesques de sa propre chambre dont les murs tapissés de peluches semblent onduler et s’animer sur son passage. La voilà face à son double-marionnette écrasé par son lit, avatar d’elle-même, portrait de la jeune fille en wicked witch of the east qui tyrannisait ses munchkins-doudous avec ses sautes d’humeurs. Pour rentrer chez elle, Dorothy devra demander audience au magicien d’Oz mais d’abord retrouver sa tête, son cœur et ses tripes, personnifiées par les fameux homme de paille, homme de fer et lion, malicieusement détournés en vigile, boucher et directrice du grand magasin. L’occasion pour l’auteur de laisser transparaître au passage quelques enjeux de société : l’obéissance aux ordres sans réfléchir, l’inconsidération pour le vivant non-humain, la domination dans les relations hiérarchiques…
Plutôt qu’une adaptation du livre de L. Franck Baum, « Oz » est avant tout un spectacle sur le pouvoir des histoires. Il s’ouvre sur l’image de Judy Garland chantant « Somewhere over the rainbow » que la Dorothy de la fable regarde sur le téléphone de son père. Les œuvres sont des outils pour percer le mystère du réel et survivre à sa brutalité. Ici c’est l’absence de la mère et la « demi présence » du père depuis sa disparition qui sont en jeu. Un manque qu’un achat compulsif ne peut combler, un trauma qui empêche l’enfant de contrôler ses émotions. Le temps d’une absence, nous explorons son inconscient et dans ce labyrinthe, les motifs du Magicien d’Oz sont autant de lanternes qui guident l’héroïne vers la surface. L’image filmée est l’espace de la réalité dite « actuelle » et la scène, celui d’une d’une réalité « virtuelle », celle du rêve au même titre que la mémoire, réalité différente que celle définie par notre conscience et notre raison mais pas moins agissante sur notre psyché.
Joan Mompart met en scène le conte comme principe actif de régulation de nos humeurs. A l’instar du théâtre, il constitue un outil de représentation où les événements de notre vie sont traités par la poésie, comme on retraite les eaux usées des émotions mortifères qui nous traversent : ressentiment, colère, injustice… afin de retrouver l’harmonie. Dorothy souffre, le potentiel hydrogène de sa vie est visiblement trop acide et l’imagination agit alors comme un électrolyse. Les péripéties sont des formules mathématiques qui aident à résoudre les équations à multiples inconnus qui nous enferment et cette catharsis s’opèrent dans l’énigme de nos pensées vagabondes. Bien qu’il s’agisse là d’évoquer un espace trouble et poreux, la qualité du spectacle repose dans sa grande lisibilité, critère indispensable pour un spectacle jeune public. Joan Mompart ne nous perd jamais en chemin. Le dispositif comme le texte fourmillent de trouvailles et de détails, cependant chaque élément, même le plus mystérieux, produit du sens ou trouve sa justification. « Oz » est une délicate boîte à rêve, à la fois étrange et familière qui rappelle que les œuvres redonnent courage, compassion et jugeote quand le vide s’insinue dans nos vies.