© Nathanael Mergui

Les archéologues du cœur de Marie-José Malis, acteur.rice.s que la directrice de la Commune guide toujours vers la stratification profonde des situations, vers l’ “arsenal d’apparitions“, le “bouillonnement de chimères“ que chaque signe textuel porte en germe, n’ont jamais été aussi complices des personnages auxquel.le.s ils se connectent. Ici des comédien.e.s pirandélien.ne.s, rendu.e.s par un certain Cotrone (allié des lucioles avant l’heure pasolinienne) à la magie menacée du Théâtre.

La troupe trimardeuse que représente Pirandello (“Compagnie de la Comtesse“), qui traîne sa charrette pailleuse vers une villa où règnent les “pouvoirs irrépressibles de l’imaginaire“ n’est pas guidée par Marie-José Malis dans l’initiation linéaire suggérée par la pièce. Le discours central de Cotrone, souhaitant apprendre un art augmentant l’humain des “cavernes“ de son “instinct“, des “ombres qui passent“ devant ses yeux, des “masques“ infinis qu’il endosse en rêve, ne fait plus office de pivot métaphysique et esthétique. Car les acteur.rice.s semblent d’emblée, alors qu’ils.elles entaillent une toile fleurie de leurs têtes marionnétiques, être les revenant.e.s magifié.e.s de la villa. En ne protégeant jamais la représentation des forces fantomatiques du Poème irreprésenté, Marie-José Malis ne s’arrête pas aux bords rêveurs du « mythe » pirandélien. Le théâtre désiré n’est plus différé et regardé bourgeoisement comme une plaisante extravagance (comme il l’est souvent malheureusement chez les idéalistes contemporains, chez Olivier Py et Simon Falguières par exemple), il n’a plus rien d’une allégorie empaillée : il prend acte constamment dans cette utopie sans hubris, une utopie des temps modestes dont la scène devient le résistant réceptacle.

Alors bien sûr, ces « Géants de la Montagne » sont sans doute moins irréguliers et moins dialectiques que d’autres traversées malisiennes, la connivence entre l’idéal artistique de la metteure en scène et la magie rare de Cotrone expliquant aussi ce symptôme. Pour qui connaît la lutte de Marie-José Malis contre un théâtre réaliste et digérable, repliant le langage et domestiquant le rêve, théâtre dont d’industrieux géants ont fait leur miel, la double énonciation pourra effectivement tonner un peu fort. Il n’empêche que le moment théâtral auquel nous participons, qui n’a plus grand chose d’une représentation mais qui tend vers l’acte de résistance partagé (l’assemblée clairsemée de la grande salle de la Commune y contribue malgré elle), transcende largement le discours qui l’intéresse. Et si les acteur.rice.s nous apparaissent à la fois comme les “vestiges“ et les “derniers piliers“ d’un théâtre qui meurt et insiste, nous-mêmes nous trouvons joyeusement désespérés de maintenir, pour quelques heures devant nos yeux, le désir incarné d’un art irraisonnable, profondément individuant, possédant comme dirait Paul Valéry “de grandes valeurs pour quelques-uns.“