© Jean-Louis Fernandez

Ce « Nous revivrons » sonne comme une réponse vitaliste à l’ascétique “Nous nous reposerons“, ultime réplique d’« Oncle Vania. » L’élan optimiste de l’« Homme des bois », l’irrésolution, la dissipation dramaturgique et l’épaisseur écosophique de cette pièce de jeunesse, longtemps bûcheronnée par la critique, semblent être autant de raisons pour Nathalie Béasse de prendre, pour la première fois, un texte unique comme matériau créatif.

Le spectacle a un air évident d’opération sur le répertoire, par instants semblable à celles de Tiago Rodrigues qui lui-même souhaite faire ré-affleurer le vivant, la circulation sourde des énergies, l’état profond des êtres, et ce en désagrégeant le canevas dramatique, en faisant respirer la lettre, le logos de l’auteur pour le rendre éminemment performatif. Nathalie Béasse cherche quant à elle cette sublimation du drame par une alternance, habituelle dans son œuvre, entre séquences verbales et tableaux muets. Tableaux pouvant être dramatiques, comme lorsque deux hommes s’écharpent à grands jets de terre qu’ils semblent gaspiller et en même temps animer, célébrer. Ou bien purement plastiques, comme lorsque le mot “vent“ ventile de lui-même la représentation, brassant alors les interprètes en prise avec l’énergie rudimentaire de bâches volantes, qui semblent s’hybrider pour un temps à leurs corps trop humains. Potentialiser la strate écologique du texte de Tchekhov, braver son naturalisme, faire de cet « homme qui plantait des arbres » (Mikhaïl Lvovitch Khrouchtchov) non plus un illuminé solitaire mais une manière d’être au vivant qui guide cette fois le régime de représentation, assourdir enfin le bruyant anthropocentrisme du drame (chaines amoureuses…), voilà autant d’opérations esthétiques et dramaturgiques guettées, avec plus ou moins d’effectivité théâtrale, par « Nous revivrons ».

Le déplacement de Nathalie Béasse vers une trame plus unitaire et vers une parole plus structurante dramaturgiquement a pour conséquence, assez inévitable, de drainer la vitalité symboliste des moments plastiques. Si certains parviennent magnifiquement à fissurer le drame (comme la peinture d’une carte forestière, moment performatif qui confronte le corps et la technique picturale enfantine des trois acteur.rice.s à l’infinie complexité du paysage), d’autres paraissent plus illustratifs, semblant même nous murmurer l’idée dramaturgique et le régime de sensation qu’ils sont censés apporter. L’écarquillement des imaginaires, la part sublime des images élémentaires que le travail de Nathalie Béasse sait si bien provoquer se trouvent alors, ici, non pas empêchés mais parfois transmutés en grammaire scénique. Ce n’est nullement la puissance plastique de Béasse qui est en peine mais plutôt son choix d’alternance sans doute trop systématique entre drame et image : le premier vient chiffrer l’autre, tandis que l’image tord moins le drame qu’elle ne lui accole des rêves parfois trop lisibles de respirations. Les trois interprètes quant à eux.elles, dont il est tout aussi beau de contempler le déplacement artistique, gardent une qualité de présent et de disponibilité sans doute moins aboutie que les acteur.rice.s habituel.le.s de Béasse, car traversée par quelques réflexes incarnatifs, par quelques accidents humains. Peut-être faut-il alors voir « Nous revivrons » comme le rêve encore en germe d’une définitive et nécessaire sortie d’homme, d’une revivance au monde que le théâtre dramatique, art anthropocentrique s’il en est, ne peut pour l’instant que laisser entrevoir.