Langue frontale

Finir en beauté

© Fonds de dotation porosus

© Fonds de dotation porosus

« Le monde se divise en deux parties égales, ceux qui ont perdu leur mère et ceux qui vont avoir mal de la perdre. »

Mohamed El Khatib voulait écrire un texte à partir d’entretiens réalisés avec sa mère. Le 20 février 2012, la mort interrompt tout. C’est à partir de ses enregistrements personnels à l’hôpital, de documents officiels, de messages téléphoniques, de photographies, de notes de carnet que Mohamed nous parle de cette épreuve de la vie qui l’a fait changer de camp, malgré lui.

Ce n’est pas un comédien qui se tient face à nous pendant 50 minutes, mais bel et bien un fils orphelin qui témoigne. Si une grande sincérité se devine dans sa voix et se lit dans ses yeux, c’est surtout dans les mots qu’elle prend toute sa forme. Des mots simples, des anecdotes d’individus, des faits.

À l’heure où « Un obus dans le cœur » – récit de cette même perte de celle qui nous a donné la vie, par Wajdi Mouawad, dont Mohamed a été l’assistant – fait salle comble non loin de la Manufacture, « Finir en beauté » propose des mots communs, sans jeu, sans intermédiaire. Que sommes-nous alors ? Toujours des spectateurs ?

J’ai pour ma part ressenti une certaine gêne, je n’avais pas envie d’entendre ça comme ça. Plaie trop vive peut-être. Je me suis alors interrogée : notre sensibilité a-t-elle besoin d’être enveloppée de récit pour être touchée sans couler ? La « comédie » explicite apporte une pudeur qui nous laisse spectateur et nous prend moins à partie. On est ici à la frontière du théâtre. Le réel est l’essence même du travail de Mohamed El Khatib et prend une dimension encore plus singulière quand il s’agit de… lui-même. Pris entre une langue médicale hostile et une langue arabe intime, il nous en livre une troisième : frontale.

C’est un projet fort et une expérience qui dépendra des sensibilités de ses confidents éphémères.