Peur du noir

Kaputt

Kaputt

D.R.

Descendue du bus numéro 5, j’arpente le petit sentier qui mène à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon pour assister à mon premier spectacle du IN cette année (au sujet de mon amour du OFF, voir les précédents I/O) et, comme à l’accoutumée, je bavarde comme une pie de la place Pie avec une femme, essoufflée par notre marche et déçue du spectacle « Autoportrait » : « Il ne se passe rien sur scène ! Quand même, appeler ça du théâtre, toute cette parole ! Le théâtre, c’est une proposition, un message, du mouvement, une scène à occuper ! Et le pire, c’est qu’ils sont complètement suffisants : pour eux, ce qu’ils font est génial ! » Cela me ramène au débat qui a un jour opposé les rédacteurs de I/O : pouvons-nous accorder une colonne à « Couscous aux lardons » ? Est-ce bien là du théâtre ?

« Kaputt », monté par la compagnie L’Allégresse du pourpre d’après « Kaputt », de Curzio Malaparte, me renvoie à deux peurs ataviques : la peur du vide et la peur du noir. Il faut dire que ce « Kaputt », c’est le spectacle de la confusion : entre la forme du conte et l’informelle lecture, entre l’adaptation attendue du texte de Malaparte et l’obéissante fidélité restituée sur scène. Et, surtout, la confusion des plans du sensible. Puisque la vue, mon sens essentiel, ne me sert à rien. Le lecteur qui se croit conteur gît dans un trou noir. Mur du fond noir, plateau noir. Et la guerre, die Kinder qui font la guerre, des rires moqueurs quand on évoque la princesse Louise de Prusse, je pense aux enfants soldats qui croient à la magie des amulettes, et aux chefs de milice qui entaillent le visage de ces enfants pour y déposer de la cocaïne avant d’en faire des meurtriers. Sur le noir de mes paupières, les chevaux enlisés dans un lac gelé et l’odeur de la charogne des machines de guerre.