Deux hommes bondissaient dans leur tête

Barons perchés

(c) Christophe Raynaud de Lage

(c) Christophe Raynaud de Lage

Dans la cour du lycée Saint-Just, Mathurin Bolze convoque à nouveau Bachir, son bondissant habitant de la cabane aux « Fenêtres ». Mais cette fois il n’est pas seul. Karim Messaoudi, mystérieux side kick, l’accompagne. Ensemble, ils sont les « Barons perchés », bien décidés à faire régner l’apesanteur et à lutter contre la loi de la chute des corps.

Bachir rentre chez lui ; nous pénétrons dans son intérieur, boîte transparente, espace mental et concret à la fois, échafaudage qui s’étire vers les arbres. Ici, la gravité n’a pas le même usage qu’à l’extérieur. À chaque instant, l’homme va pour chuter, volontairement ou pas, mais rebondit toujours, comme rattrapé par miracle, et reprend sa place exacte au ralenti. Ce vœu (cette malédiction ?) de ne jamais redescendre semble lui peser avec les années. Il croise son reflet dans la vitre, portrait de l’artiste en jeune homme. Celui-ci le suit partout, le soutient, le pousse, l’agrippe, prend sa place, lui tend la main, joue avec lui… Il semble qu’une faille temporelle se soit creusée et que deux fantômes, celui de la jeunesse et celui de la maturité, viennent y régler leurs comptes ou y puiser la force de continuer à rebondir.

Pour le festival, Karim Messaoudi a repris le rôle de Bachir, créé par Mathurin Bolze il y a quatorze ans dans « Fenêtres », pièce manifeste de la compagnie Les Mains, les Pieds et la Tête aussi. Quelle belle façon de passer le témoin que d’en faire un spectacle. Impossible pour les artistes de cirque de défier le temps comme ils savent défier l’équilibre. Alors, il n’y a pas d’autre possibilité pour s’en sortir que de transmettre, comme dans cette émouvante scène d’entraînement dans laquelle Mathurin s’avoue vaincu et renonce à atteindre le sommet de la structure, et dans cette autre où Karim, bondissant encore et encore, encouragé par son maître, y parvient ! Ce cirque, extrêmement raffiné, plonge ses racines dans la littérature, se nourrit des affres de ceux-là mêmes qui l’interprètent. Le vent fait danser ses branches et chanter ses feuilles. Le fruit qu’il porte et que nous goûtons ensemble s’appelle « poésie ».