Sur la pelouse des Théâtres gallo-romains, une yourte. Nous y entrons en petit effectif, nous sommes tous à moins de 2 mètres de la danseuse-contorsionniste. Elle s’adresse à nous comme à ses invités. Elle nous convie à la faire répéter si nous n’entendons pas. Si elle rate, elle nous demande si on veut qu’elle réessaie. Elle nous confie son décor quand il l’encombre, nous propose de boire quand elle le fait. Le soleil tape sur la yourte, nous rougissons, transpirons comme si nous aussi nous avions la tête à l’envers en équilibre sur les bras.
Tania, les oreilles entre les jambes, nous raconte son enfance en Israël ; elle nous explique ce qui l’énerve, ce qui la scandalise, comment elle a appris qu’en réalité il n’y avait pas « rien » avant les juifs en Israël. Énervée, elle frappe des poupées avec des briques qui vont lui servir pour construire un mur circulaire, subtilement décoré de drapeaux israéliens et qu’elle fait exploser en feignant de s’étouffer, la tête dans un seau rempli d’eau. Comprend qui peut. En l’occurrence, tout le monde.
Quoi qu’on en pense, le spectacle ne peut laisser le public insensible. Pour ma part, je me suis demandé pourquoi je n’étais pas émue, pourquoi, en revanche, j’étais complètement crispée, à la limite du désir de sortir, entre la lassitude et la gêne. Le travail réalisé est considérable et l’artiste formidable, mais je suis intimement convaincue que faire disparaître la quintessence du geste théâtral, la distanciation, est une erreur. Physiquement, la proximité est telle qu’on ne peut qu’être complètement inclus dans les scènes, on ne peut s’en échapper. De plus, la protagoniste nous inclut émotivement en nous parlant comme à des amis, en s’adressant à nous personnellement. Elle nous rend sujets et nous extirpe de la masse informe et protectrice qu’est le public. On ne bénéficie pas non plus de la distanciation du personnage fictif : elle parle à la première personne, ce qui se joue là est donc tenu pour véritable. De plus, le traitement du sujet est fait de métaphores d’une clarté telle qu’une lecture distanciée semble compliquée.
Nous sommes donc spectateurs à 30 centimètres de distance d’une sorte d’exutoire thérapeutique qui se manifeste avec une violence assez insoutenable. Peut-être est-ce une question de disposition d’esprit, ou suis-je soumise à la variable de mes envies conjoncturelles de spectatrice, mais pour un sujet d’une telle complexité je suis de ceux qui ont besoin de cette distance avec le spectacle qui autorise à ne pas s’émouvoir, qui autorise à penser à autre chose, à ne pas y croire, à ne pas aimer le personnage. L’artiste nous proposait à la fin de parler de nous si nous en avions l’envie. J’ai pensé a posteriori que je ne viens pas au théâtre pour parler de moi, ni pour que d’autres me parlent d’eux. Je suis de ceux qui vont au théâtre par besoin de faux, de fiction, de simulacre. Pour ne pas « mourir de la vérité », comme dirait l’autre. Un spectacle qui fait réfléchir donc.