Femmes en lutte

À plates coutures

(c) Xavier Cantat

(c) Xavier Cantat

À la Maison des Métallos, Carole Thibaut retrace avec « À plates coutures », le parcours des ouvrières de Lejaby dans le conflit social qui les oppose à la direction de leur usine. Un théâtre politique et musical, savamment orchestré par Claudine Van Beneden qui recompose avec intelligence l’épopée complexe de ces femmes en lutte.

Quatre femmes, différentes en âge, en corporalité, en timbre de voix, elles forment ensemble le chœur des Lejaby. Elles dansent, elles chantent, elles jouent à nous séduire parfois, dans cet espace dédié à la confection de l’érotisme : la fabrique de lingerie de luxe. Jeu de lumières rouges, musique suave et poses suggestives qui peu à peu se transforment en rythme lancinant des mêmes gestes répétés le dos courbé sur le poste de travail, néons froids et vacarme des machines. Très habile renversement du décor, le théâtre comme lieu de restauration du réel que dissimule le fantasme : derrière l’image de grâce et de beauté vendue, il y a le travail fastidieux ; derrière le charme, la besogne ; derrière l’amour, l’exploitation. Un seul acteur leur fait face, tantôt contre-maître tyrannique, tantôt mari défaillant, tantôt patin politicien, et raconte en filigrane la lutte contre la domination masculine.

Le texte s’est construit sous forme d’allers-retours entre des entretiens avec les véritables actrices du conflit social, et le travail de répétitions de celles qui les représentent. La question du traitement de la matière témoignage est ici brillamment résolue par Carole Thibaut, qui compose un drame, c’est-à-dire une action qui s’inscrit dans un espace et une durée, mais qui sans cesse se déploie au-delà de la scène. Nous suivons et nous nous attachons à des personnages dans un atelier précis, mais ce sont, à travers eux, tous les ateliers qui prennent la parole. Récits au public, scènes, chansons, récit à la caméra… Cette polyphonie crée la distance suffisante pour émouvoir et interroger à la fois. Empathie et dialectique. Comme l’a si bien dit la déléguée du personnel de Lejaby, présente au « bord de scène » après la représentation : plus que l’archive, c’est ce théâtre-là qui est l’outil le plus juste et le plus complet pour rendre compte, garder la mémoire et transmettre la résistance sociale.