Il est avantageux d’avoir où aller

Il est avantageux d’avoir où aller

550 pages : c’était le minimum vital pour compiler chez P.O.L, éditeur historique d’Emmanuel Carrère, vingt-cinq années d’articles, préfaces et conférences. Depuis les chroniques judiciaires pour « L’Evénement du jeudi » au début des années 1990 jusqu’aux récents reportages publiés dans la revue « XXI », on ressent dans cette anthologie ce souci permanent de l’auteur de creuser le réel dans toutes les directions à la fois.

En 33 articles, on reconnaîtra le penchant de Carrère pour le profilage psychologique, qui lui inspirera ses grands récits (« L’Adversaire », « Limonov »…), son goût pour les profondeurs intimes auxquelles il mêle toujours une part de lui-même, dans un rapport quasi obsessionnel au frottement entre réalité et fiction. Aucune surprise, donc, de le voir au chevet de Philip K. Dick, auquel il consacra un essai en 1993, et qu’on retrouve ici sous la forme d’une préface parue chez Denoël ; ou encore d’enquêter sur Luke Rhinehart (« A la recherche de l’homme-dé ») qui, d’une certaine manière comme Jean-Claude Romand, a passé une vie schizophrène à brouiller les pistes de sa double identité.

Car si le premier protagoniste de ces reportages et comptes-rendus est toujours l’auteur lui-même, où plutôt la résonance qui surgit entre des éléments de sa propre biographie et celle des ses personnages, réels ou imaginaires, l’écriture de Carrère est paradoxalement tout sauf narcissique : son point d’arrivée est toujours l’autre et, pourrait-on dire, son “inquiétante étrangeté”, qu’il s’agisse d’accusés dans un tribunal (« Trois faits divers »), de stars du cinéma (l’irrésistible « Comment j’ai complètement raté mon interview avec Catherine Deneuve ») ou d’écrivains (Daniel De Foe ou Balzac).

Indispensable pour les familiers de l’œuvre de Carrère, « Il est avantageux… » est une autobiographie déguisée, témoin de ses enthousiasmes, de sa méthode d’écriture à la croisée des chemins entre le scénariste, le journaliste et le romancier, et de ses interrogations morales ou sentimentales rarement autocomplaisantes ; et surtout de sa furieuse envie de partager, sans pédanterie ni fioritures, son travail de documentariste de l’âme humaine.