Serebrennikov et le fanatisme chrétien

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Dans la lignée de son travail de représentation des maladies de la psyché russe, avec « Les Idiots » ou « Les Âmes mortes », Serebrennikov fait avec « Martyr », créé en 2014, le procès du dogmatisme religieux.

Synchronicité frappante avec l’actualité française, la pièce commence par un débat âpre sur la tenue vestimentaire des filles aux cours de natation d’un lycée : le bikini est-il décent ? À cette question, comme à toutes les autres, le jeune Benjamin n’a bientôt qu’une réponse, qui consiste à citer les Évangiles. Il a porté sa crise adolescente dans le christianisme le plus littéral. En russe comme en tchèque, le titre est un jeu de mots qui reflète d’ailleurs cette contre-initiation : « (M)ученик », l’élève/le martyr.

La scénographie est minimaliste et la mise en scène nettement plus sobre que celle des « Idiots », autour d’une déclinaison de planches en bois servant tour à tour de table, de balançoire ou de croix christique… Ce choix accentue le naturalisme quasi documentaire de la pièce. Un travail de grande précision, à l’instar de ce pot de fleurs mural que l’on prend longtemps pour un inutile accessoire jusqu’à la scène clé de la crucifixion symbolique. Le jeu des acteurs est précis, mais le texte de Mayenburg, s’il est percutant, drôle et rythmé, souffre d’être par moments trop démonstratif, témoin de la jeunesse de l’auteur, et son indignation paraît un peu premier degré.

Reste la force de la proposition, son sens du renversement des perspectives qui invite à s’interroger sur tous les fanatismes et permet au metteur en scène russe de poursuivre son travail systématique de déconstruction des institutions (l’école, l’Église…) quand elles se font le véhicule d’une sclérose sociale et spirituelle. À noter que Serebrennikov a adapté lui-même le projet en film, sous le titre « Le Disciple », présenté cette année, avec un vif succès critique, dans la sélection du Festival de Cannes, et projeté à nouveau pendant le Festival de Pilsen.