Un cri silencieux

Écran total

(c) Alain Moïse Arbib / Franz Laimé

(c) Alain Moïse Arbib / Franz Laimé

La compagnie Point de Rupture applique son nom à la lettre dans ce spectacle qui met en scène un moment de bascule – l’instant fragile et pesant où la relation entre une mère et une fille se déchire. Le titre, « Écran total », s’il évoque le mur du silence et de l’incompréhension qui s’installe entre ces deux femmes, peut également faire penser à l’image de la crème solaire et à la volonté de protéger l’enfant des méfaits du monde extérieur pour garder sa peau – sa chair, la chair de sa chair – intacte, l’incitant, si cette volonté devient totalitaire, à s’exposer avec d’autant plus d’ardeur à la violence des rayons.

Sur fond d’insurrection politique et de répression (on ne sait pas si la jeunesse prend le pouvoir ou se fait massacrer), enfermées dans l’enceinte d’un ring en néon (de la crise extérieure ne parviennent que des bruits), une mère et une fille s’affrontent. La fille a disparu et ne réapparaît qu’après un long temps d’attente, au milieu de la nuit, comme par effraction, telle une clandestine en sa maison (ou une mouette). La mère l’attendait, le duel commence. Laquelle domine l’autre dans ce rapport de force ? L’une, sourde, a le pathos et le verbe ; l’autre, muette, a l’écoute et le regard. Le spectateur devient témoin de cette disjonction et de toutes les émotions qu’elle suscite.

Ce sont également les qualités fondatrices des personnages de théâtre qui sont ainsi distribuées, comme pour donner à voir, à travers cette lutte à main nue, sans contact, l’opposition de deux formes théâtrales (par exemple le drame et la pantomime) et la quête de « nouveaux possibles » dramaturgiques. Cette recherche est soutenue par une scénographie épurée mais efficace, où trône un frigo, piège dans le piège, tantôt symbole du confort domestique et chambre froide.

L’image de cette révolte à plusieurs niveaux est saisissante, moins par sa charge psychologique que politique : spectacle quasiment mutique d’une mutation, dont la scène se fait le laboratoire sans donner de solution définitive – puisqu’on ne saura pas qui sort gagnant(e) de cette expérience. Il suscitera sans doute une forme de perplexité, dont on espère qu’elle sera féconde.