« Candide ou l’optimisme ». Ce titre si connu, que charrie-t-il du fond de notre esprit ? Quelque chose qui serait à la fois proche et lointain. Voltaire évidemment, figure dont la familiarité a déjà la distance un peu terne de la culture scolaire. Le xviiie siècle aussi, lumineux et gai – du moins dans sa représentation –, mais plus obscur dans notre mémoire que le noir xixe. Autant dire que, coincées entre le siècle de Louis XIV et celui des révolutions artistiques et politiques, les Lumières ne sont guère à la mode, réduites bien souvent aux perruques poudrées et aux lieux communs sur la tolérance. De ces deux écueils, la pièce d’Alexis Armengol parvient à s’échapper aisément, en refusant la reconstitution d’époque ou la leçon de morale sur les grands principes des Lumières. Aussi la pièce n’est-elle pas à proprement parler une adaptation du conte, mais plutôt une mise en récit du récit. Laurent Seron-Keller n’y joue pas « Candide » mais le raconte, et il le fait avec toute la malice et la vélocité qui siéent au ton de l’œuvre. De ce point de vue, la réussite est complète.
Mais c’est de cette fidélité à l’esprit voltairien que résulte aussi la relation pédagogique qui s’instaure entre la scène et le public, redoublant la dimension didactique inhérente au conte philosophique. Le spectateur y (re)découvre « Candide » dans une forme éminemment plaisante. Mais de la même manière que le conte est le vecteur d’une morale, la pièce se fait le vecteur d’un vecteur. Or, une autre voie eût été possible, sans contradiction par ailleurs avec celle qu’a empruntée la pièce. C’eût été la mise en question de l’œuvre même de Voltaire. Car elle pose d’innombrables interrogations aux enjeux parfaitement contemporains. Quelle relation l’écrivain critique entretient-il par exemple aux pouvoirs qui le contraignent mais plus encore au pouvoir que lui-même détient et incarne ? Ou alors, quelle relation peut-on établir entre la forme même du conte philosophique et la montée en puissance de la morale bourgeoise ? Et plus largement, c’est bien la question d’une analogie légitime qui se pose, entre le xxie siècle – siècle de la dépolitisation des masses et de l’hégémonie médiatique du discours humanitaire – et le xviiie – période d’affirmation sans précédent d’un catéchisme critique et humaniste qui n’a pourtant cessé de réserver la parole aux élites éclairées. Mais cela aurait été un autre spectacle, probablement plus laborieux, et sans doute bien moins plaisant.