Mokhallad Rasem nous présente un diptyque mêlant images documentaires et performance chorégraphique. Dans la première partie, projetées en fond de scène, des images des révolutions arabes et de la guerre sur lesquelles ont été incrustés, en surimpression, des danseurs exécutant leur mouvement. Mais afin de clairement situer sa démarche dans le cadre du spectacle vivant et non du documentaire ou du clip, l’artiste décide aussi de placer devant l’écran plusieurs danseurs dont les corps deviennent à leur tour espace de projection de l’image. Vision étrange et problématique d’une grâce un peu surchargée dansant sur les décombres des révolutions. Cette lourdeur d’un décorum qui tend à invisibiliser et à lisser l’image première se retrouve aussi dans la seconde partie. Des habitants d’Anvers, face caméra, y évoquent ce qu’est pour eux l’attente. Ici, l’image est projetée sur des lambeaux de toile disjoints qui se meuvent sur scène grâce à l’action de plusieurs performers. Sur cet écran déchiré, des visages disloqués se racontent brièvement. Mais ces témoignages se retrouvent une fois de plus écrasés par le geste plastique. Jetons par exemple un œil à cette scène particulièrement significative. Un morceau de toile accueille en son centre un léger effilochement par lequel se dessine une ligne claire et verticale. Est alors projeté le visage d’un sans-papiers qui, la voix éteinte, déclare « qu’attendre, ça veut dire encore un rêve qui meurt ». Le léger effilochement, placé judicieusement sous son œil, se met ainsi à figurer l’écoulement d’une larme. En un dernier geste, l’une des performeuses, munie d’un chiffon, lui essuie symboliquement la joue. L’unité des deux propositions repose ainsi sur un certain rapport entre la scène et la vidéo, rapport d’embellissement de celle-ci par celle-là, comme si la nudité de l’image documentaire était trop indigne de la scène, et qu’il fallait pour cette raison l’ornementer d’une robe chatoyante, à la manière d’un tableau de souffrance sur lequel on poserait un cadre d’or. Mais cette volonté d’ornementation ne résulte pas simplement d’un geste libre de l’artiste, elle est aussi imposée par les contraintes inhérentes au spectacle vivant. Issu de ce monde, formé par lui, inséré en lui, l’artiste ne concevait peut-être pas le documentaire comme un chemin possible. La voie choisie fut donc, pour sortir du simple travail filmique, d’imposer le cadre du spectacle vivant à l’image désirée, d’encadrer luxueusement l’écran pour justifier la production scénique d’une œuvre pourtant essentiellement structurée par l’image, d’élaborer des artifices qui puissent rendre raison de la projection d’un documentaire sur scène.
La tyrannie du cadre
Body Revolution & Attendre