L’intégration par le cochon

Adopte un réfugié

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Avec un pareil titre, bien des choses pouvaient être redoutées. Mais lorsque l’on découvre sur scène Sam le juif, Mokhtar le musulman et Madeleine la catholique, on comprend d’emblée que c’est à une énième comédie d’intégration, carburant à l’humour ethnique, que nous faisons face. L’indécence, toujours transgressive, excitante et révoltante s’efface alors dès les premières minutes, au profit d’une comédie excessivement consensuelle. Car de réfugiés, il n’est en réalité pas question. L’Autre ici se confond avec cette figure familière dont on peut se moquer sans trop de mauvaise conscience, parce qu’il est finalement ce bon ami qui, parlant parfaitement le français, partage tout un ensemble de références culturelles, dont la plus essentielle peut-être : le porc. C’est qu’une grande partie du spectacle tourne autour de cette figure à la fois clivante et intégratrice, car qui en mange devient nécessairement copain comme cochon. On a donc droit à un humour qui, ne prenant guère de risques, en donne assez à chacun pour que tous se retrouvent à communier dans la même mangeoire. Tout y passe donc : Arabes, juifs, Chinois, gros, fonctionnaires. Bref, en termes de cibles, la pièce bouffe un peu à tous les râteliers. Et si Sam le juif assume son amour de la cochonaille, Mokhtar − rebaptisé Momo pour l’occasion − manifeste une plus grande réticence à l’égard du porc. Il admet pourtant en avoir avalé malgré lui lorsque, chutant un jour bouche grande ouverte, il se retrouva à terre, une saucisse en bouche. Et pour s’assurer que le musulman se soit bien farci du cochon, la catholique la joue sournoise, n’hésitant pas à lui faire manger des paupiettes de veau qui se révèlent être des testicules de porc. On l’aura compris, la blague, même si elle se termine en eau de boudin, importe plus que la rigueur dramaturgique. Tout est donc ici question d’incorporation de l’autre, de digestion, d’absorption plus ou moins forcée : la cochonnaille comme synecdoque de l’assimilation républicaine, la proximité au cochon comme échelle d’évaluation du degré d’intégration. D’un point de vue anthropologique, tout cela n’est pas absurde, car le lien communautaire met toujours en jeu un certain partage alimentaire. C’est donc aussi une certaine vision de l’Histoire qui nous est montrée, celle d’une France qui, ne communiant plus autour du corps mystique du christ, doit bien se contenter de rigoler autour du corps porcin de la nation.