« Knusa/Insert Coins » est le fruit de la rencontre de deux univers artistiques : celui du photographe Christian Lutz et celui de la chorégraphe et danseuse Cindy Van Acker. À l’origine, « Insert Coins », une exposition de photos réalisées à Las Vegas entre 2011 et 2014 par le photographe suisse, dévoile la dichotomie entre le clinquant d’une des villes les plus touristiques des États-Unis, véhicule du rêve américain qui brille et chiffre gros en dollars, et la solitude, la tristesse, la pauvreté parfois, de ses habitants. Hommage à ceux qui se sont retrouvés broyés par un système ultralibéral, « Insert Coins » entend rendre leur place (oserons-nous dire « leur dignité » ?) aux êtres que la société s’efforce de cacher parce que pas rentables, pas glamour, pas acceptables.
C’est en voyant ces photos que Cindy Van Acker a eu l’idée de créer « Knusa », solo d’une vingtaine de minutes préparé comme en contrebande, sans avertir grand monde et surtout sans contrainte de production aucune. La démarche est comme un écho de celle d’« Insert Coins », un geste en miroir qui se traduira dans le titre de cette œuvre hybride, le titre de chaque œuvre se répondant de chaque côté d’une barre latérale. Un système de correspondances qui opère dans toute la chorégraphie, des postures des photos qui l’entourent surgissant régulièrement dans le spectacle.
À travers le corps de Cindy Van Acker, ce sont tous les êtres figurant sur les photos disposées autour d’elle qui s’incarnent. À elle seule, la danseuse exprime la lutte perpétuelle pour rester debout, les nombreuses chutes après lesquelles il est de plus en plus difficile de se relever. En guerre contre une musique aux relents presque postapocalyptiques (on a parfois pensé à Ryoji Ikeda) composée par Mika Vainio, disparu en 2017, le corps est comme écrasé par la machine invisible et pourtant omniprésente.
Knusa, en islandais, signifie « étreindre ». Et malgré la violence que l’on ressent devant le spectacle, on y trouve aussi une grande tendresse pour les autres. « Knusa/Insert Coins » est la façon de Christian Lutz et de Cindy Van Acker de prendre le monde dans leurs bras, une main tendue aux vaincus, une dignité qui leur est rendue. Un geste d’humanité devant le chaos.