© Laura Thavenot

«  L’art de l’acteur ne consiste plus à informer les spectateurs sur l’acteur et sur la scène, mais au contraire à informer le spectateur sur lui-même » : la formule strasbourgeoise d’André Engel donnerait du grain à moudre au théâtre immersif — dont Le Secret, ouvert par Léonard Matton en juin dernier, est un pilier tout aussi inattendu que réjouissant. « Sans But », d’après Arne Lygre et mis en scène par Lambert Riquier, est justement un spectacle engélien : la présence du spectateur, à force d’être trop remerciée et justifiée, devient suspecte. À force d’être trop encadrée — combien de fois est-on sommé de s’amuser ? — d’autres raisons se font plus obscures : nous a-t-on réellement demandé de venir pour ce qui est répété à profusion, c’est-à-dire la célébration de la ville utopique de Lensvik ? « Or s’il éprouve des difficultés à comprendre le pourquoi de sa présence, le spectateur doit désormais chercher à la justifier. Il n’est plus là pour regarder et entendre, mais il doit entendre et regarder afin de comprendre pourquoi il est là » écrit encore Engel… Précisément : la fiction du spectateur est plus bien trouble qu’on croit, et le visiteur est loin d’être honnête dans la cité aux fjords de Lensvik. 

On regrette certes que l’aspect participatif soit trop vite oblitéré par le drame de Peter (qui nous importe peu), car le spectateur n’aura pas le temps de se fondre et de se déguiser dans l’exposition — son personnage est trop façonné d’avance par le dispositif. Mais l’intérêt du spectacle est plutôt dans les images collectives (certaines plus anecdotiques que d’autres) qui poétisent follement la dramaturgie : des verres, des parapluies, des formulaires confiés au visiteur… Autant de tableaux vivants s’animent soudain à l’insu du quidam et à la merveille du groupe : un ensemble autrement plus vivace ! « Sans But » se préoccupe peut-être trop encore d’Arne Lygre : il rayonne(ra) grâce à ses scénographies de spectateurs. 

(Les extraits d’André Engel proviennent d’un manifeste du 27/01/1977.)