Nouveau venu sur la scène avignonnaise, le Théâtre Episcène, entièrement dédié à la création belge, frappe un grand coup en proposant « Bord de mer », adaptation du roman éponyme de Véronique Olmi. « Bord de mer », c’est avant tout ce court récit, confession d’une mère dépassée, épuisée, qui voudrait tellement épargner à ses enfants l’existence qu’elle-même mène. Un texte d’une force et d’une âpreté colossales, éminemment casse-gueule. Et pourtant.
Et pourtant, c’était méconnaître Michel Kacenelenbogen et Magali Pinglaut. Tous deux ont brillamment déjoué les pièges de l’adaptation de roman jouée à peu de frais, fausse bonne idée dans le panneau de laquelle tombent nombre de compagnies à chaque édition du Festival d’Avignon. Sans effets de manche ni de lumières, la sobriété de la scénographie fonctionne comme un écrin pour la perle qu’est Magali Pinglaut. Rarement sommes-nous sortis en nous disant qu’il n’y avait pas une minute de trop, qu’on en aurait même repris un peu, pour le plaisir de la sidération et du bouleversement. Magali Pinglaut, c’est notre nouvelle star à nous.
Une heure quinze durant, c’est à un numéro de funambule qu’elle se livre avec une grâce sans cesse renouvelée. Par l’empathie extraordinaire que le metteur en scène et son actrice arrivent à instaurer pour ce personnage de mère qui finira par commettre l’irréparable, on échappe magnifiquement au misérabilisme comme au jugement moral. Car cette femme, c’est aussi un symbole, symbole de la France d’en bas, de l’ascenseur social en panne, ce sont toutes les victimes de cette crise économique qui n’en finit pas, ceux qu’on précarise chaque jour un peu plus et qu’on prend plaisir à humilier qu’elle représente. « Bord de mer » agit comme un signal d’alarme. Voulons-nous vraiment laisser un monde comme ça à nos enfants ? Prenons-nous notre part de responsabilité dans ce qui se passe ? Sommes-nous certains que cette femme, demain, ce ne sera pas nous ? Autant de questions auxquelles la pièce ne prétend pas répondre, laissant chacun·e face à sa propre conscience.
On ne ressort pas indemne de cette expérience. Mais en acceptant de ne pas considérer le théâtre uniquement comme un divertissement, on prend le risque – la chance – d’en ressortir transformé·e.