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« L’idée vécue » de Julie Benegmos donne lieu à une forme qui surmonte bien des écueils. Situé quelque part entre le théâtre documentaire et l’expérience immersive, « Strip » (donné opportunément pour Supernova dans la Cave Poésie, hétérotopie toulousaine) ne bascule ni dans la reconstitution complaisante et exhibitionniste, ni dans la leçon féministe. La multiplicité des matériaux utilisés est à l’origine de cette hybridité, J. Benegmos entrecroisant des interviews fragmentaires de stripteaseuses, des performances (comme ce magnifique moment sur une chanson d’’Anthony & The Johnsons), des reconstitutions volontairement kitsch et fantaisistes, des anecdotes rapportées, des lectures… La malice dramaturgique de “Strip” réside dans le fait qu’il est structuré autant par l’intervention vidéographique des entretiens que par l’essai d’Anne Dufourmantelle (« L’Éloge du risque »). Le spectacle parvient alors à transcender son reportage édifiant par des strates de significations philosophiques, voire métaphysiques, et déporter ainsi son sujet vers ce qu’il ne peut dire ou en tout cas vers ce qui le travaille souterrainement et profondément : le rapport de l’humain au déséquilibre, à la nuit sans prise de la beauté, au mystère de la jouissance.

Si l’investigation scénique de J. Benegmos et Marion Coutarel (co-metteure en scène) se place elle-même à l’endroit du strip-tease, c’est qu’elle chemine sans cesse entre monstration et rétention de l’image. La proposition régulière de « salons privés » à certains spectateurs, élus par une rose, le prouve car elle nous place dans une douce frustration qui sollicite l’imaginaire. Et lorsque le corps se met réellement à nu, il le fait dans la pénombre d’une chandelle, dans un moment performatif où l’œil regarde autant l’actrice que les ombres qui l’entourent. Des ombres qu’il cherche à percer mais qui ne lui renvoient alors que sa propre énigme vivante. Là où beaucoup de documentaires scéniques auraient cherché une convergence ou une vague dialectique du propos, J. Benegmos préfère une expérience des limites qui ne va toutefois pas au bout de son amoralité et se son vertige potentiels. Il y a sans doute trop de discours et de lisibilité globale du geste pour que le spectacle prenne lui aussi le risque de la jouissance. Pour l’instant, les coutures sont intelligentes et plaisantes mais le vêtement théâtral, on en revient toujours à Barthes, ne bâille pas suffisamment.