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Habituellement, les spectacles de magie promettent le grand songe éveillé. David Stone quant à lui préfère la sincérité aux étincelles : s’il « passe à table » (titre on ne plus prosaïque de son spectacle), ce n’est pas de gaieté de cœur. Le magicien mouche encore ses rêves de gosse (être un poète, être un illusionniste à gros effets…) dans une nappe en satin orangé, grâce à laquelle il pourrait se téléporter en haut d’Eiffel. Mais en attendant, ses doigts qu’il croit non prestigieux ne tiennent que des cartes qui tombent aux premiers rendez-vous. Que des paquets de cigarettes qui au lieu de disparaître se multiplient comme de vilains pains christiques. Que des anti-stress caoutchouteux. Que des vodkas orange qui, encore heureux, ne coulent pas dans la manche.

Mais cette mélancolie des grands soirs cache un autre rêve bien plus précieux : celui de démystifier pour de bon la magie. Et plus seulement en faisant croire garcimorement à l’illusionniste propre à rien. Mais en pariant plus sincèrement que, dans ce monde où les « hologrammes grossiers » ne trompent plus personne (écrivait Eric Chevillard), un tour pourrait constituer un grand moment de partage, un modeste suspens. Non pas parce qu’il nous éloignerait merveilleusement de nos vies, mais parce qu’il nous en rapprocherait et qu’il tordrait miraculeusement ses travers. Il aura fallu tant de mauvais mages en paillettes pour qu’enfin, grâce aux rêves avortés d’un homme claudiquant, la magie passe à table et devienne éminemment contemporaine. Rien de fortuit si ce grand spectacle intimiste se joue dans une cave à « Double Fond », car c’est bien à une magie blanche sur fond gris-mélancolie qu’il nous convie. Armez-vous donc d’un élastique japonais plutôt que d’une bague précieuse, et dépêchez-vous d’en être les hôtes, au sens réciproque du terme qu’impose cette très belle magie égalitaire.