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Freddie Opoku-Addaie, nouveau directeur artistique du festival de danse contemporaine londonien Dance Umbrella, annonce la couleur en invitant la chorégraphe américano-zimbabwéenne nora chipaumire avec “ShebeenDUB”, une proposition entre concert, performance et installation visuelle consacrée à la culture dub.

Dans la grande salle dé-gradinée du Bernie Grant Arts Centre au nord-est de Londres, le public s’enfonce lentement dans un halo de fumée rosé-bleu et cède aux vibrations dub servies par le DJ. Un imposant sound system en bois contreplaqué s’élève comme une tour de Babel, autour de laquelle on déambule, on danse, on s’assoit. La soirée évolue du simple DJ set à la performance, jusqu’au concert de Trojan Sound System. Nora et trois performeurs interviennent dans cet environnement, réagissant de manière individuelle à la musique. On vivote, on bounce, tant est si bien que notre découverte ou redécouverte de cette culture, sortie de la cuisse du reggae, passe essentiellement par le corps. Faire l’expérience du dub, regarder bouger le corps dub. Que l’interaction des interprètes nous dit-elle de la philosophie de ce mouvement ? Qu’est-ce que l’intervention d’un saxophone ou d’une courte session flamenco dit de la plasticité du genre ? Un environnement, un comportement, une histoire.

L’artiste sait – pour sûr – rattacher les mouvements au reste du monde, aux rythmes qui l’anime, à la communauté qui l’invente, à la conjoncture sociale et politique qui le nourrit, aux corps qui l’incarnent. Elle nous rappelle que la culture est un tout non segmenté et que comprendre un mouvement c’est le voir évoluer dans son environnement naturel. Sinon il est muséifié, saigné de son sens pour ne devenir qu’un mot sur une feuille de salle, pour un public en quête d’exotisme, ou encore un geste injecté dans un spectacle de contemporain subventionné qui ne sait plus se réinventer sans s’accaparer les contre-cultures.

Le spectacle semble faire suite à une proposition antérieure de l’artiste : “#PUNK 100% POP *N!GGA”. Depuis les États-Unis, nora chipaumire vient réveiller les enfants terribles de la culture britannique, ceux-là même qui sont nés des violences de l’empire, ces zones de l’histoire musicale et chorégraphique où l’Europe et l’Afrique rejouent leur rencontre. Se définissant elle-même comme un produit de  l’école coloniale britannique pensé pour les natifs, dite de groupe B, elle visite les cultures de ceux qui ont connu des sorts similaires au sien. Elle utilise le corps et la musique comme une arme ou un laboratoire. “Doing, making, experiencing with my body is a mode of inquiry. It is practical, it is theoretical, it is experimental, it is critical, it is dangerous”, disait-elle lors d’un TedTalk intitulé “The black, African, female, body”.