"Moby Dick 150 Manifeste anti-conformiste comme tout le monde, cie Granit Suspension ©C.Loiseau

© C.Loiseau

Le festival MOMIX offrait l’occasion de découvrir “Moby Dick 150 Manifeste anti-conformiste comme tout le monde”, première œuvre profondément singulière de Blanche Lorentz, un geste théâtral assez inclassable.

Comme une tentative de bousculer toutes les conventions du théâtre, de ce qui se fait ou ne se fait pas, d’interroger ce que les spectateurs – et les programmateurs – sont prêts à accepter… tout en restant prudemment en sécurité, malgré tout, et en désamorçant une éventuelle mauvaise réception par une bonne dose d’auto-dérision. Toujours est-il que ce spectacle-manifeste en trois parties est parsemé de bonnes idées, notamment quand il sort son public de sa zone de confort, l’abandonnant à lui-même lumières allumées. Chacun devient alors spectateur et spectacle de l’autre, des rires plus ou moins gênés fusent, le brouhaha qui agite l’assistance réinjecte de la vie et de la spontanéité là où elles ne sont plus attendues.

Blanche Lorentz n’est pas la première artiste à simuler l’accident et à tenter l’effraction dans son propre spectacle – dans la pagaille des références qui viennent à l’esprit, on pense aux “26 000 couverts” par exemple. Mais elle le fait avec un décalage étrange et une poésie de la fêlure qui n’appartiennent qu’à elle. « Tout le monde est au courant de rien » : cette citation de Benoit Montjoie résumerait à elle seule cette proposition surprenante, perpétuellement inattendue, jamais totalement dans les clous mais jamais non plus radicalement incendiaire, qui tisse sa toile d’étrangeté devant un public tour à tour décontenancé, amusé, charmé, sollicité. Ca passe ou ça casse, on adhérera ou on rejettera en bloc le processus post-narratif, participatif, anarchiste. L’élocution un peu hallucinée de l’artiste, le regard un peu trop fixe de ses grands yeux, l’apparente maladresse de ses gestes et de sa posture, concourent à instaurer l’étrange fragilité du spectacle. L’utilisation délibérée d’accessoires et d’effets très bricolés, où le théâtre d’ombres remplace ce que presque tout le monde aurait montré en vidéo, où les dessins sont faits sur des placards de carton ou des rouleaux de draps cousus à la suite, entretient cette impression de toujours être à la marge.

Si Blanche Lorentz cite l’art brut, et rappelle son appellation d’art des fous, c’est pour s’inscrire un peu elle-même dans la radicalité impulsive et sincère d’un geste qui se fait à moitié en pilote automatique. Si elle mobilise la figure de la mouche, en la mettant en parallèle avec celle du cachalot tueur, c’est pour interroger aussi bien notre rapport à la marge que notre potentiel à la rage. Il faut commettre des attentats contre le trop convenu, semble-t-elle nous suggérer, pour libérer les puissances de vie qui bouillonnent, loin sous la surface. Et peuvent nous libérer en broyant les parois du navire ? Un spectacle-manifeste, donc. Qui nous invite à devenir les artistes de la dissidence… en guidant par l’exemple.