Une sourde force d’opposition

J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie

© Alex Nollet

Dans une forme à la fois minimale et tapageuse, Laurent Sauvage fait puissamment résonner les mots du jeune Paul Nizan, humaniste révolté et éclairé, d’une évidente actualité.

C’est avec le ton grave et velouté qu’on lui connaît, avec une fausse nonchalance qui ne dissimule en rien la précision et la véhémence incisives avec lesquelles l’acteur, écorché vif, familier du théâtre de Julien Gosselin ou de Stanislas Nordey, se fait le porte-voix du romancier et essayiste Paul Nizan, intellectuel, philosophe et normalien, à la parole frondeuse, fiévreuse, empreinte d’autant de désolation que de contestation.

Autant d’émotions vives sont contenues dans le court et non moins fulgurant spectacle d’une heure seulement écrit à partir d’une lecture aiguë puis d’une sélection de passages d’”Aden Arabie”, livre dont l’incipit “J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie” est resté célèbre. A la fois récit autobiographique et pamphlet politique, le texte est paru en 1931 mais et n’a aujourd’hui rien perdu de sa justesse. C’est ce que fait entendre avec conviction et détermination l’éloquent Laurent Sauvage, droit et solide comme un roc, micro en main.

Qualifié par Jean-Paul Sartre de « trouble-fête », Nizan fustige et démolit de manière insolente et affirmée, un ordre social où règne la loi du profit et du mépris. L’auteur clame haut et fort son antibourgeoisisme, son anticapitalisme, son anticolonialisme, dans une intarissable et vindicative diatribe contre le gavage et la sclérose d’une société pleinement satisfaite de recourir à des systèmes de domination, d’exploitation, de corruption, d’aliénation de l’homme par l’homme ; autant de maux concentrés autour d’une figure qui les personnifie tous : l’homo economicus, un “animal content de son économie du profit supplémentaire”.

Les mots proférés prennent beaucoup de place et se déverse jusqu’à la saturation dans un seul souffle dense. Ils sont accompagnés par le musicien Eric Pifeteau dont la batterie chauffée à blanc rythme et soutient le flot verbal rendu encore plus énergique et électrisant. La pièce atteint alors nettement sa cible en combinant radicalement simplicité matérielle et force intellectuelle.