© Christophe Raynaud de Lage

Après la singulière création « EXIT ABOVE », qui régénérait les formes kersmaekeriennes sous des atours pop, la reprise de « En atendant », créé à Avignon en 2010, est un retour à la sophistication et à la beauté abstraite.

Avec cette pièce brute, sans décor et en lumière naturelle, De Keersmaeker avait ouvert un diptyque, après dix-huit ans d’absence dans le festival, conclu en 2011 par le mythique « Cesena » joué à l’aube dans la Cour d’honneur. Son contrepoint vespéral traduit une même organicité de la lumière qui s’affaisse peu à peu sur les corps bientôt pénombrés. Car l’attente du titre – dans son orthographe médiévale – s’avère ambiguë : celle de la nuit et du monde d’après, qui ancre la danse dans le moment transitionnel du crépuscule, avec son lot de peurs et d’espérances. Que reste-t-il à faire dans ce moment fragile ? A marcher. Chez la chorégraphe belge, tout est affaire de trajectoires. S’il n’y a d’autres repères au sol qu’un rectangle de terre brune et pas les familières spirales, les corps n’oublient ni la géométrie, ni les mathématiques musicales : accompagnés par le trio de l’ensemble Cour et Coeur (flûte à bec, chant et vièle), les huit danseurs et danseuses font et défont leurs courses individuelles et collectives par un jeu de discontinuité et de fragmentation. Comme si toute tentative de faire récit était mise en échec par les corps eux-mêmes, soumis à des forces impérieuses : peut-être celle des grandes épidémies, de la Grande peste du XIVe siècle – à la fin duquel apparaît cet ars subtilior explicitement évoqué par De Keersmaeker – au Covid. Mais la danse est la démonstration que ce sont bien les corps qui possèdent la clé de leur salut, et que leur apparent corsetage formaliste est à la fois source de leur faillibilité et de leur grâce. « En atendant » est un geste profane sur une musique sacrée, épuré et tout en retenue, d’une exigeante et délicate beauté.