Rendez-vous avec le désastre

Je suis un pays

(c) Mathilda Olmi

À Vidy, en septembre, le spectateur était convié par Vincent Macaigne à la plus belle fête qui soit : celle du renouveau. Pour nous prouver que le passé n’est plus et que la mort n’est rien, entre autres, mais surtout pour envoyer chier cet éternel retour du même qui nous hante en hurlant à ceux qui ne veulent pas l’entendre la puissance du théâtre quand il se fait monde.

Parce que oui, il y en a marre de cette antienne qui nous étouffe et selon laquelle nous serions voués à ne plus rien manger d’autre que les fautes originelles de ce monde bâti sur une culture qui glorifie le passé et une économie qui sacralise le présent. Place au futur, maintenant ! Et puisqu’il faut faire vite, alors le metteur en scène nous convie en trois heures à revivre tout à la fois nos fautes, notre enterrement et notre résurrection. Macaigne, ou le théâtre qui lave plus blanc que blanc.

Une fois rejeté de cette salle devenue l’espace du temps de la représentation le système digestif d’un monde en crise de foi, le spectateur n’a plus rien d’autre à faire que se relever pour prendre en main ce destin qu’il croyait joué d’avance, et c’est toute la force de ce spectacle. En nous montrant le ridicule des institutions, la petitesse de l’homme et la violence du monde, Vincent Macaigne parvient malgré tout à donner tort à l’éternel retour nietzschéen, en se permettant au passage d’écorner la société du spectacle d’un Guy Debord, selon qui le spectateur qui contemple ne vit plus. Ici, c’est tout l’inverse qui se passe, et c’est ainsi aussi que se tisse la magie de ce spectacle qui s’affirme comme une profession de foi en la capacité du théâtre à dire et à faire.

Le théâtre qui fait, et qui fait bien, s’installe alors, en violence et sans politesse, mais avec toute la finesse d’une jeunesse révoltée qui ne veut pas oublier. Parce que c’est aussi la troisième et peut-être la plus belle intelligence de ce spectacle : détruire sans oublier. Sans oublier d’abord que le désastre ne peut être fécond qu’à la condition qu’on se souvienne. Sans oublier ensuite qu’il faudra rester ensemble, dans cette salle comme dans le monde, puisque le désastre n’exècre rien de plus que l’homme quand il sait faire groupe. Sans oublier enfin qu’il est nécessaire d’écouter l’artiste, car lui seul sur terre sait dire le monde pour avaler ses tristesses. C’est peu de chose, et ce n’est pourtant pas rien. C’est peut-être même essentiel. Assistant à la fin du monde, le spectateur ressort croyant, puisqu’il vient de se faire donner la plus belle preuve d’une vie possible après la mort. Et mieux que cela, même : la preuve d’une mort dont les hommes « ressusciteront incorruptibles » (1 Co, 15:42).