5e Conférence internationale de théâtre de Bakou

120 participants venus de 46 pays, du Japon au Mexique en passant par le Canada, la Norvège ou l’Arabie saoudite : nous ne sommes pas au raout de l’Association internationale des critiques de théâtre, mais à l’intrigant BITC, congrès biennal organisé à Bakou. Le thème de cette 5e édition : « Philosophie du théâtre au XXIe siècle : le concept d’existence ».

Coincé entre la Russie et l’Iran (on devine la complexité géopolitique) et bordé à l’est par la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan occupe une position aussi délicate que centrale dans le Caucase. Sa capitale, Bakou, s’est imposée au fil des années comme un pôle régional attirant tourisme et investisseurs d’Asie centrale, mais aussi d’Inde et du Golfe. La politique culturelle profite de ce rayonnement : le BITC est l’extension d’une véritable stratégie internationale dans ce pays où suintent le pétrole et le gaz naturel. Avec une tradition implantée à l’époque de la Russie tsariste et prolongée pendant l’époque communiste, voilà bientôt 150 ans que le théâtre déploie ses scènes en Azerbaïdjan. Et ce avec une variété d’institutions classiques ou modernes, à commencer par le lieu où se déroule la conférence, le State Musical Theater, mais aussi le théâtre de marionnettes (construit en 1931), l’opéra ou, plus marginalement, au sein du magnifique centre culturel Heydar-Aliyev, conçu par Zaha Hadid en 2007.

Si le fil rouge des conférences, cette année, interroge le concept d’existence au théâtre, c’est un écho plus ou moins inconscient à la propre recherche de l’Azerbaïdjan d’affirmation de son existence nationale, une sorte de désir de vivre qui se traduit par sa dimension politique et identitaire parfois hyperbolique. Le thème particulièrement fourre-tout, à défaut d’être tout à fait pertinent, s’avère aussi une solution diplomatique permettant d’aborder toutes les problématiques, aussi locales soient-elles, tenant à cœur aux intervenants : le marxisme dans le théâtre indien contemporain ou le rôle de la musique dans les créations scéniques ukrainiennes… Les invités viennent de tous horizons (universitaires, critiques, directeurs d’institutions, metteurs en scène, comédiens), ce qui renforce, en plus des différences nationales, la multiplicité des points de vue. Lorsque la réflexion glisse sur sa face la plus métaphysique, on cite, pêle-mêle, Platon, Heidegger ou Derrida – car la postmodernité fait elle aussi partie de la mondialisation – et certains évoquent la crise d’identité qui secoue le théâtre contemporain à travers le monde. Avec un seul spectacle au programme (le néo-circassien « Aria » des Italiens de la compagnie No Gravity), le BITC n’est pas un showcase mais d’abord un moment de rencontres et de networking – dont les langues officielles sont l’azéri, le russe et l’anglais.

Au-delà de ces perspectives hétéroclites, c’est aussi une occasion de découvrir un pays et une culture encore méconnus. Sait-on par exemple que les frères Nobel y firent leur fortune dans l’industrie pétrolière ? Que leur fer de lance, le premier pétrolier au monde, fut appelé le Zoroastre en 1878, seulement quelques années avant que Nietzsche ne publie « Ainsi parlait Zarathoustra » et sa « mort de Dieu » ? Une synchronicité flagrante de l’avènement de ce nouveau mauvais démiurge qu’est l’or noir et une prophétie sur le siècle à venir. Mais le BITC, heureusement, ne se réduit pas aux conséquences du pouvoir sur la matière. Il est d’abord une manifestation des forces de l’esprit. L’une des présentations l’affirme sans détour : « Nous avons un besoin essentiel d’amour et de gentillesse », suite à quoi un autre intervenant cite Oscar Wilde parodiant Shakespeare : « Oui, le monde est une scène de théâtre, mais dieu que le casting est mauvais ! » Et c’est peut-être cela qui est stimulant dans ce genre de manifestations qu’est le BITC : au-delà des enjeux politiques et économiques, que l’on pourra juger aussi cyniques qu’incontournables, voici une tentative bancale, éphémère et un peu vieillotte, mais ouverte et fraternelle, de réunir les hommes autour d’un amour commun de l’art. Le théâtre peut-il transformer le réel ? Le congrès s’était ouvert sur un pragmatisme de bon aloi : « Le théâtre ne peut pas rendre le monde meilleur, mais il montre qu’il peut le devenir. »

V Baku International Theatre Conference, 5-6 novembre 2018