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Depuis six ans, le Lyncéus Festival oeuvre au « in situ » dans la petite ville de Binic-Étables-sur-Mer, à vingt minutes de Saint-Brieuc. Mené par un collectif d’auteurs-metteurs en scène-acteurs-réalisateurs issus du CNSAD (Lena Paugam, Antonin Fadinard, Sébastien Depommier, Fanny Sintès) et de la Fémis (François Hébert), le festival présentait cinq créations originales dans des lieux éminemment insolites.

« Écritures dans la ville », sous-titre le Lyncéus, qui propose à des auteurs d’investir l’imaginaire poétique de Binic-Étables le temps d’une semaine hivernale. Ils mèneront ensuite leurs textes au plateau (cette année Guillaume Lambert, Pierre Gaffieri, Antonin Fadinard et Sarah Mouline), exception faite d’ « Au-delà » de Catherine Benhamou, mis en scène par Claire Chastel au port nautique, devant la magnifique plage de la Banche. Tous les ans, un thème s’impose aux auteurs : la « Frontière » aura succédé aux « Monstres » de 2018.  Lignes et autres démarcations se tracent donc : entre les morts et les vivants beaucoup (« Toranda Moore » et « Mes parents »…), entre ceux qui restent et ceux qui partent aussi (« Au-delà », « Tu-e-s ») voire entre opprimés et dominants (« Andromède ») ; autant de fictions enchevêtrées parcourant les paysages maritimes ou plus forestiers. Inégales certes — l’équipe ne se retrouve sur place qu’à la fin mai pour créer l’ensemble des formes — mais toutes saillies d’une recherche aussi roborative et frustrante, puisqu’au fond presque aucun spectacle n’est repris au-delà du festival… Voilà que Binic-Étables s’arrime gaillardement aux rives du présent.

C’est certes souvent l’intérêt du « in situ » que d’écrire exclusivement pour un espace. Cependant, le Lyncéus (à l’instar des autres festivals du genre, en essor depuis 10 ans) reste encore fragile. Les soutiens mêlés de la ville, du département et de la région sont un premier pas sémillant : il reste que l’équipe férue d’invention artistique porte à bras le corps un projet en recherche apodictique de reconnaissance. Une rencontre entre quelques acteurs du hors-les-murs, du « in situ », du « théâtre-paysage » et de quelques institutions éclairait à juste titre les complexités de production et de diffusion des formats hors-cadre : jauge, tournée, sécurité… On s’y aventure comme dans une forêt vierge tant l’univers à défricher est vaste, l’excitation et l’effarement en partage. Une chose est sûre : l’avenir de la « seconde décentralisation », ânnonante mais déterminée, est en marche. En son sein, le Lyncéus aura pris le soin de bien s’entourer : les Théâtrales (avec l’ouverture d’une « Collection Lyncéus » regroupant deux pièces d’Antonin Fadinard et une de Milène Tournier) et ARTCENA cette année. Sans compter le soutien évident des acteurs locaux, car le Lyncéus veut éviter d’être un parachutage depuis Paris. Plusieurs artistes se dotent d’une histoire familiale avec la région (le manoir Ker Annick avait pris l’habitude d’accueillir les artistes), de même que l’équipe compose diverses manifestations artistiques durant l’année (stages, expositions, lectures).

Certes, en plein début de saison pour la côte balnéaire, le chapiteau de Lyncéus fait tache : il bouscule le badaud qui s’aventurera prudemment d’une moule-frites à la cantine en observant d’un air intrigué les fameux comédiens de sortie pour le week-end. N’est-ce pas salvateur ? Ça râle ou ça s’ébahit plaisamment : quoi qu’il en soit, le Lyncéus est une formidable expérience poétique et politique de présent et d’avenir. Décentraliser le théâtre c’est avant tout le décentrer ; hors des cadres, mais résolument pour la vie.