Face à la crise sanitaire et au désarroi du spectacle vivant, la Grande Balade d’Annecy, ouverture du festival Annecy Paysages, a dû s’adapter. Salvador Garcia, directeur de Bonlieu, scène nationale d’Annecy, a imaginé cette déambulation en dehors de la ville, à 1 400 m d’altitude, sur le chemin de randonnée de la montagne du Semnoz. Artistes et spectateurs ont répondu présents, tous heureux de retrouver, sous un jour nouveau, le plaisir de la danse, du théâtre et de la performance. De quoi prendre un peu de hauteur en ces temps de catastrophes, et de repenser, entre la grandeur des forêts alpines et la pureté de l’air, ce que « vivre » un spectacle et spectacle « vivant » veulent dire.
Les 18 et 19 juillet 2020 s’est tenue la Grande Balade d’Annecy. Habituellement pensé dans un cadre urbain, l’évènement s’est déplacé plus haut pour investir de sa présence les hauteurs de la montagne du Semnoz. Respectant ainsi les nouvelles normes sanitaires, danse, théâtre, cirque et musique ont pu se fondre dans le paysage vertigineux des Alpes et rencontrer un public éclectique, parfois plus habitué à la marche qu’à l’espace clos des salles de théâtre. La déambulation et l’itinéraire proposés laissaient le choix aux promeneurs de suivre un chemin précis ou de se laisser surprendre par les diverses formes de spontanéité et de surgissement que permettent ce genre d’espace et le dispositif déambulatoire lui-même.
On peut ainsi décider d’arriver en retard ou en avance à telle représentation, de partir ou de rester, de s’attarder sur le spectacle puis sur la vue imprenable du Mont Blanc, ou de regarder les deux se superposer ensemble. Ce que la Grande Balade propose avant tout, c’est peut-être cet agencement entre la nature autour et le moment du spectacle, son kairos, agencement si particulier et qui nous fait aimer la représentation dans son paysage et le paysage se dessinant à l’intérieur d’elle. Manière de voir la place qu’occupe l’atmosphère dans notre manière de vivre un moment artistique.
Parmi notre déambulation, nous pourrons retenir la performance vertigineuse, conçue par Rachid Ouramdane, de Nathan Paulin, funambuliste se balançant à plusieurs dizaines de mètres au dessus du sol, sur une slackline. Des hauts-parleurs installés en dessous se fait entendre la voix de l’acrobate contant ses souvenirs, son rapport particulier au vent et à la hauteur. Son histoire résonne autour de nous, semblant se répercuter entre la cime des arbres. Il nous parle de sa fragilité d’homme, minuscule face à la grandeur de la chaîne alpine, alors que nous retenons notre souffle, absorbés par sa grâce d’oiseau.
Quelques pas plus loin, un duo puis un trio de danseurs imaginés respectivement par Saïef Remmide et Jean-Claude Gallotta s’enlacent et se laissent tomber, s’aiment et se repoussent, au rythme d’une joueuse de guzheng et d’un saxophoniste. La marche se poursuit au cœur de la forêt alpine, les promeneurs sont accompagnés par la mélodie de musiciens suspendus au hasard dans les arbres. Les chants et les airs, difficiles à situer et à circonscrire emplissent la marche d’une force quasi-magique. Magie du happening.
Les différentes représentations se suivent les unes les autres s’entrelaçant dans un grand tout, faisant fondre les frontières de l’espace et du temps du spectacle. Nous surprendrons ainsi Chloé Moglia, suspendue à un arc de cercle métallique, qui semble converser avec la courbure des sapins, ou François Chaignaud, dansant sur une planche de bois d’un mètre carré, au milieu d’un chemin boueux, en corset doré. Improvisations, créations in situ, performances repensées pour l’occasion se mettent à exister différemment dans leur nouvel espace d’accueil. Loin d’être un espace clos, le territoire qu’occupent les artistes et les spectateurs peut ainsi être pensé comme « acte », tant il est vrai que ce type d’espace se fait et se défait au rythme des tissus de rencontres et de représentations permises par le dispositif de la déambulation.
A prix libre et dans un lieu investi pour la première fois par un tel évènement, l’art se décloisonne, sortant de la ville et des salles pour venir respirer et s’ouvrir. Avec le minimalisme imposé parfois par l’art in situ, performers, musiciens, danseurs et artistes nous font vivre le paysage, leur paysage, nous faisant ainsi voir la polymorphie du spectacle vivant, sa capacité à répondre à la crise et à faire survivre ses promesses politiques et esthétiques.