(c) Javier Hernandez

Après la clôture de leur trilogie sur la violence avec « La Despedida », le Mapa Teatro pose son nouveau jalon dans la représentation de la société colombienne avec une envoûtante plongée en forêt amazonienne plus poético-onirique que politique.

« Le centre est là où je serai », dit l’un des personnages de « La Lune est en Amazonie ». Voilà comme l’aveu d’une sociologie idéaliste et subjectiviste qui, dans la suite de Jean Rouch dont le Mapa Teatro reprend la notion d’ethnofiction, accepte que l’observateur se débarrasse d’une neutralité factice et pose sa caméra en faisant partie de la chose observée. Avec ce postulat quantique, Heidi Abderhalden et Rolf Abderhalden abordent l’un de ces peuples hapax et invisibles, une tribu d’Amazonie coupée du reste du monde derrière ses impénétrables parois de jungle. Au fil du XXe siècle, tour à tour confrontés aux assauts des orpailleurs et des multinationales, courtisés par les ethnologues, ces autochtones résistent à toute interprétation ou communication univoque, tant ils semblent reclus dans un espace-temps qui leur est propre.

Partant de ce constat, la scénographie luxuriante du Mapa Teatro se conforme jusqu’à saturation sémiologique à troubler la réalité des sens : fumigènes, pénombre, translucidité, multiplicité des langues parlées (anglais, espagnol, dialectes), masques, effets de lumière entrecroisées, couches vidéo superposées au décor… et un palmier qui marche : ce surlignage de la confusion, caractère singulièrement immersif et onirique, participe d’un réalisme magique qui n’est pas ici seulement l’avatar d’un tropisme de la littérature colombienne, mais également une façon d’interroger la part de fictionnalisation qu’un regard pseudo documentariste peut porter sur le monde. Comme si l’existence des uns avait « besoin du rêve d’un autre pour intensifier sa réalité », reconstruite ici dans toute sa complexité par un geste polymorphe mêlant musique, projections vidéo et chamanisme. Transdisciplinaire et ultra-créatif, le Mapa Teatro confirme la primauté de son militantisme poétique sur toute tentative d’herméneutique ethnocentrée. Et c’est pour le mieux.